Matsa Blues

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Je ne sais pas si c’est le nettoyage de la maison qui me fait tomber sur des vieilleries que j’aurais préféré oublier, la pénurie de denrées alimentaires potables, les dérèglements intestinaux qui en découlent, ou la prière qui paraît plus longue d’année en année, mais la fête de Pessah me fout la loose. En trempant les herbes amères dans l’eau salée, je plonge dans mes souvenirs, remonte le fil de ma vie. Et je peux vous dire que le bilan est pas beau à voir. A côté, les Harosset, c’est du caviar.
 
Pessah 1991 : J’ai 15 ans et des fiches bristol couleurs pour réviser le BEPC. Tous les dimanches, je vais au Gaumont-Opéra pour voir des films américains en français et traîner dans la galerie toute proche. Résultat, pendant que des mecs roulent des pelles à mes copines, je me fais des cartes de visites parfaitement inutiles pour la modique somme de 20 francs. L’Occident, Israël et l’ensemble des juifs du monde entier sont soulagés par la fin de la guerre du Golfe. Tout le monde, sauf ma mère qui aurait préféré que ca continue un tout petit peu, histoire de faire reculer la date du mariage de son fils aîné. Premier soir du seder, tout le monde sourit autour du plateau et de la future femme de Stéphane. Mon père, qui a 4 garçons et qui doit oublier que j’existe, n’arrête pas de dire « Une fille ça nous change… ». Ma mère passe nerveusement la plat de la main sur la nappe, les yeux baissés en soupirant à chaque fois que Betty glousse « On fait pas comme ça chez moi… ». Mémé n’arrête pas de regarder sa montre et lâche toutes les dix minutes « On mange dans combien de pages ? ».
 
Pessah 1998 : J’ai 22 ans et des fiches bristol de couleur pour décrocher ma licence. Je sors le samedi soir. Je regarde des films en v.o. mais c’est uniquement pour faire plaisir à R. J’ai perdu ma virginité la veille. Et ma mère qui m’a bassiné toute mon adolescence en me hurlant, l’index sur le nez, « Si tu fais des bêtises avec un garçon je le sentirais, tu n’aurais même pas besoin de me le dire ! », me fait décidément bien marrer. Le seder, mes frères qui parlent boulot, mes belles-sœurs qui parlent enfants, mes neveux qui jouent sur Tetris sans le son, Mémé qui fait l’étonnée après le repas « Quoi y a la prière après manger ? On a jamais fait la prière après manger ! », rien ne m’atteint. Je suis sur mon petit nuage. R., c’est l’homme de ma vie, j’en suis sûre. Quand mon père me répète pour la 4e fois « Faut s’accouder du côté gauche pour boire la coupe », je ferme les yeux, je rêve que R. vient m’arracher à ma fratrie avec en fond sonore « Envole-moi » de Jean-Jacques Goldman.
 
Pessah 2002 : Grande cuvée pour ma mère. Elle a deux raisons objectives de faire la gueule : son fils Éric est parti avec femme et enfants faire son alyah, et sa fille de 26 ans (moi) est encore célibataire. Mémé, qui a encore toute sa tête, simule Alzheimer pour se taper des croissants à la boulangerie. Mon père va de moins en moins à la synagogue. « Trop dangereux », lâche-t-il. Même l’absence de Betty, qui a besoin de « faire le point chez ses parents », n’arrache pas un demi-sourire à ma mère. L’ambiance est exécrable. Mémé et Maman tentent de susciter le plus de « Chut, c’est la prière !!!! ». Le « Dans combien de pages on mange, Baba ? » de Mémé sera d’ailleurs largement battu par le challenger « Elle aurait pu prendre ses enfants. Depuis quand une mère se sépare de ses enfants ? Ça c’est une mère ça ?  » de sa fille. Moi, mon année a été pourrie. Je me suis séparée de R. une énième fois. Bon, pour lui c’était la bonne. Le 10 septembre 2001, il m’a appelé, « Faudrait qu’on se voit… demain soir t’es libre ? ». C’est donc dans un bistrot du XVIIe sur les coups de 19h, les yeux rivés sur les écrans de télé qui rediffusaient les images du World Trade Center, que ce blaireau, qui a décidément le sens des priorités, m’a annoncé qu’il se mariait. Devant mon désarroi – que son cerveau trop petit ne pouvait pas lier à ce qui se passait aux États-Unis – il m’a pris la main en me disant « Toi aussi un jour tu trouveras quelqu’un ».
 
Pessah 2006 : Ma mère est super sympa, mes frères ne me chambrent pas, mes belles-sœurs sont guillerettes. C’est le plus beau Pessah de ma vie. Non, je ne suis pas coincée dans un épisode de séries américaines avec rires enregistrés et happy end, c’est juste que je suis à la clinique. Je mange des sushis devant la télé avec Solal, né 10 heures plus tôt à côté de moi. Son papa, D., épousé en septembre dernier, en est à sa deuxième Calzone. J’allaite pas donc on a fini la bouteille de champ’. D. commence à imiter mon père. « Là, c’est le moment où il doit customiser la prière en disant L’an prochain, si Dieu veut, sous la présidence de Sarkozy » dit-il en sortant de sa poche sa carte du PS à 20 euros. Redevenant sérieux, il s’assoit sur le rebord du lit : « Ok, Royal elle est perchée, mais avec Fabius et DSK au gouvernement, ça va rouler c’est sûr ! C’est écrit putain, comme nous trois et tous les autres qu’on va faire ! ».
 
Voilà voilà. Pessah 2012. D. et moi avons divorcé il y a 2 ans. Il est 23h, Mémé n’est plus là pour s’étonner qu’il y ait une prière après manger, mon fils dort sur le canapé. Mon père se demande si le plateau doit être couvert ou découvert. Mes deux autres frères commencent à opérer un repli stratégique vers la sortie. L’inflation sur la durée de la prière a aussi touché le capital-conneries de ma belle-soeur Betty. En dépit de la réticence de mon frère, elle annonce « Voilà si Hollande passe, on a décidé d’aller s’installer en Israël ». Ma mère commence à caresser nerveusement la nappe. J’ai trouvé que c’était le bon moment pour leur annoncer « Moi, si Sarkozy repasse, je vais m’installer en Hollande ».
 
The SefWoman
 
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
 
 
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