Attentat à Tel-Aviv. Tout baisse d’un ton. La rue, la circulation, le commerce, l’agitation, et même le soleil ont l’air éteint. Drôle de climat dans ce quartier du Shuk, pourtant si bouillonnant. Tout a baissé, sauf le niveau sonore. Les constructions et les marteaux piqueurs ne s’arrêtent pas, les ambulances non plus, les plus improbables sonneries de téléphones encore moins. Les hélicoptères ne cessent de tourner, on espère que ce soit la presse et pas l’armée, pas si près. Les télés, partout, sont en mode volume maximum. Ceux qui ne sont pas rentrés chez eux sont massés dans les épiceries, les Makolet dans lesquelles les BFM tv locales ne cessent de déverser leurs images et leurs comm’ avec cette mise en scène si caractéristique de l’urgence. Groupes de gens dans la rue et familles entières rentrées chez elle.
Hier encore on recevait une invit’ à une fête, Surfing on a Roquet Party, avec en sous-titre If we’re still alive. L’émission satirique sur la 2 israélienne faisait des blagues sur les missiles et la sécurité. Avec le boom de l’immobilier et la gentrification des quartiers bobos, les miklat, c’est à dire les abris, étaient fermés à clefs en attendant de devenir des spas, des boutiques-wine, boutiques-cheese et autres boutique-branchouilles. Seuls les miklats du quartier africain servent, justement aux africains clandestins, qui du coup ont un toit. Hier encore, on avait droit au Master Chef avec parmi les candidates une religieuse à perruque, le mouvement Shalom Arshav achetait sa quotidienne page de pub dans le Haaretz, pour demander la paix au nom de l’amitié avec ses voisins. Hier encore, les intellectuels et les artistes s’adressaient à Bibi : Amos Os, Yoram Kaniuk, Smadar Yaron… On suivait la manif à Paris, on se demandait qui était ce type qui avait acheté un quart de page dans le Monde en soutien à Israël, on regardait les débats télés avec les deux protagonistes et le présentateur au centre, avec les mêmes envies de meurtre – 11 millimeter bullet, format impecc’. Tout était normal dans cette région anormale.
Il y a des détails comme ça. Pas bien grave. Moins que de perdre sa maison, sa famille, sa vie. Les enfants français de l’école Chagall devaient déplacer leurs affaires pour suivre leurs cours à l’abri dans un bâtiment plus sécurisé au centre de la ville. Et le musée d’art sur Shaul Hamelech devait mettre ses Chagall, ses Bruegel et ses plus belles œuvres en sécurité. Les enfants, l’art. Mettre l’art à l’abri. Cela a résonné hier comme un truc bizarre, un truc qui tourne autour de l’essentiel, du vital, et du superflu nécessaire. Mais le cessez-le-feu allait bientôt être signé. Imminent. Et puis les tirs et les sirènes dans le Sud, à Jérusalem, à Ashdod, Rishon-le-Tsion, n’ont pas cessé. Et puis la parade de cadavres torturés à moto à Gaza s’est imposée, offrant le spectacle monstrueux d’un monde de ténèbres. La bombe ce midi a plongé chacun dans ses cauchemars d’avant le mur, ces jours noirs où tout pouvait basculer comme aujourd’hui. Hier soir l’Institut Français de Tel-Aviv avait programmé par un hasard de calendrier Georges Bensoussan, pour sa conférence sur les Juifs en pays arabes. L’auditorium était archi-archi-comble, comme si hier, on allait comprendre ce qu’il peut bien y avoir au dessus du mot séparation.
Valérie Abecassis
Valérie Abecassis partage sa vie entre Paris et Tel-Aviv. Elle est journaliste, auteur du livre Art Food, L’Histoire de l’art en cuisine et chroniqueuse sur Jewpop. Actuellement à Tel-Aviv, elle nous fait partager son « journal de bord ».
Retrouver « Sirènes à Tel-Aviv » (1) et (2), par Valérie Abecassis
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