Tout fout le camp, même les manifs de la communauté juive à Paris. C’est vrai qu’on a eu un weekend pas facile. Mais pour un Français qui a fait son alya il y a quelques années et qui se retrouve dans la capitale pour raisons professionnelles, le rassemblement qui a eu lieu dimanche soir devant l’ambassade de Belgique à Paris, en mémoire des quatre personnes assassinées au musée juif de Bruxelles, a été un moment proprement à part.
18h15 – Arrivée rue de Tilsitt. On peut se dire la vérité : personne ne savait que l’ambassade de Belgique était là-bas et tout le monde aura oublié demain. D’ailleurs, davantage de gens m’ont dit « ah tiens, c’est là-bas l’ambassade de Belgique ? » que « ouais, ça marche, je viens ! ». Seule la police ne s’est pas trompée : ils ont disposé des barrières tout autour du parvis qui sépare l’ambassade de la place de l’Etoile ; pile ce qu’il fallait pour accueillir le petit millier de manifestants.
18h20 – petit dialogue capté en passant :
– À ton avis, y a combien de personnes ?
– Je sais pas, je dirais 1500-2000.
– Mais n’importe quoi, on est à peine 500…
– Je sais, mais je dis ça pour me réconforter.
18h25 – Voilà, voilà, ils sont venus, ils sont (presque) tous là : présidents, anciens présidents et vice-présidents, tel Joël Mergui éructant pour faire entendre son habituel discours (on avait pas dit « hommage silencieux » ?), le député Claude Goasguen venu dans un « territoire » voisin, occupé momentanément par le socialiste Pierre Aidenbaum, Marek Halter, la famille Klarsfeld et l’imam Chalghoumi. Si j’étais ce dernier, je demanderais un arrêt de travail à la communauté juive. Pour résumer, on a eu droit au minimum syndical. Juste devant la « scène » visiblement improvisée, un attroupement de jeunes de la Ligue de Défense Juive et du Betar, avec leurs drapeaux aux couleurs du Crédit Lyonnais et d’Amnesty International. Cherchez l’erreur.
18h30 – Le Loubavitch abonné aux manifs passe avec un panier rempli de pièces et de quelques billets, en demandant un petit geste de Tsedaka. Il est repassé cinq minutes après – c’est dire s’il avait vite fait le tour du petit monde rassemblé.
18h35 – L’événement est tellement bien organisé qu’il n’y a ni micro, ni tribune, ce qui est particulièrement pratique pour entendre. Les 200 juifs du fond n’ont rien entendu aux discours, mais ont parfaitement capté «islamistes assassins», slogan scandé par les mecs de la LDJ.
18h45 – Un type me propose de mettre les tefilin et m’explique que le mouvement massif de pose des tefilin initié par le Rabbi il y a quarante ans visait à renforcer la protection des Juifs par la prière. Je lui réponds que je ne suis pas expert, mais qu’il doit y avoir erreur dans la citation du Rabbi parce que, manifestement, ça n’a pas bien marché ces derniers jours. Alors il a proposé à quelqu’un d’autre de les mettre. Au moins, lui et le mec de la tsedaka, ils étaient à la manif.
19h10 – A l’entrée du métro, deux jeunes manifestants invectivent les quelques CRS postés devant la station et exigent d’eux qu’ils demandent à un jeune gars d’ôter le keffieh qu’il porte autour du cou. Les CRS s’exécutent – à mon avis, en conseillant au gars d’enlever le keffieh sous peine de baston au gré de sa balade place de l’Etoile – et le type ôte effectivement l’écharpe incriminée, qu’il portait là visiblement guidé plus par l’esthétique que par le militantisme pro-palestinien. Les manifestants qui donnent des ordres aux CRS sont copieusement filmés par ces derniers. Et ce comportement hautain d’invective, cet autoritarisme, ces regards hargneux des militants LDJ, laissent un goût amer.
Je ne voudrais pas jouer à l’ancien combattant du haut de ma petite trentaine d’années, mais fut un temps où, en France et en Europe, la mort de Juifs parce qu’ils étaient Juifs jetait davantage de monde dans la rue. Dont beaucoup de jeunes. J’en ai parlé, en quittant le rassemblement en question à un ami, excellent connaisseur de la communauté, qui m’a fait réaliser une chose : l’attentat de la rue Copernic, la profanation du cimetière de Carpentras ou, plus récemment, le meurtre d’Ilan Halimi, étaient des événements inédits, profondément choquants.
L’attentat de Toulouse et celui, hier, de Bruxelles, non moins choquants, s’inscrivent dans un climat général et sont probablement perçus comme la suite logique, l’aboutissement de celui-ci. En fait, plus personne ne s’étonne, plus personne n’est choqué. Reste une véritable tristesse, une sorte de brûlure. Et ne descendent dans la rue que ceux qui vivent ce rassemblement comme un réflexe.
Reste aussi la prise en otage de ces manifestations par les barges de la LDJ et du Betar, une petite poignée de militants qui squattent depuis des années ces événements. Ce soir, en beuglant leur slogans débiles, ils ont empêché le public de prendre le temps d’“avaler” l’événement de Bruxelles et de partager quelques instants de doute, de crainte et de chagrin. Ce rassemblement de dimanche était prévu pour cela. Grands gardiens du judaïsme de l’Éternel, ils ne sont même pas capables de respecter le moment de calme et de recueillement de celles et ceux qui étaient venus pour porter le deuil. Et, surtout, ils seront sans doute l’unique image filmée par l’unique télévision ayant fait le déplacement, iTélé. Pour peu qu’un non-juif ait souhaité participer à la manifestation de ce soir, nous pouvons être certains qu’il ne reviendra jamais.
Après que 71 départements de France ont placé le FN en tête des listes électorales, ces commentaires sur le rassemblement peuvent sembler anecdotiques, voire déplacés. Je ne le crois pas. C’est justement parce qu’on a parfois besoin de se raccrocher à quelque chose d’humain, après des événements comme celui de Bruxelles, qu’on aurait aimé trouver du réconfort et du recueillement devant l’ambassade de Belgique
Triste de constater, que tout, vraiment tout fout le camp. Même la mode parisienne.
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© photos : Jewpop
Article publié le 26 mai 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop