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Claude Askolovitch : Mireille Knoll, Crif, LDJ, Shoah… L'entretien Jewpop

10 minutes de lecture

 
À l’occasion de YomHaShoah, Jewpop s’est entretenu avec Claude Askolovitch. Du meurtre de Mireille Knoll au rôle du Crif, de la LDJ à la mémoire de la Shoah, le journaliste et écrivain sort sa kalachkolovitch.
 
Alexandre Gilbert : Pourquoi, en France, les gens ne connaissent-ils ni le Chant des marais, ni la date de la journée de commémoration de l’Holocauste ?
Claude Askolovitch : En France on commémore la rafle du Vel d’Hiv, le 17 juillet, soit le jour où l’État français s’est impliqué directement dans la Shoah. Cela me parait parfaitement juste, et plus compréhensible qu’une date sans lien avec le pays.
 
A.G. : La marche blanche après l’assassinat de Mireille Knoll montre-t-elle que toute manifestation de soutien peut, à tout moment, virer au trouble à l’ordre public ?
C.A. : Pendant le deuil, on visite la famille qui fait schiva*. On vient à l’enterrement, comme l’a fait, et c’est un geste juste, le président de la République. Je ne crois pas qu’une marche blanche décrétée par des apparatchiks communautaires fasse partie de nos rituels. Monsieur Kalifat n’est pas mandaté pour faire le tri aux portes du deuil, et les petits gars de la LDJ qui piaillent contre Mélenchon ne disent pas le kaddish**. On pollue quelque chose de sacré avec des politicards et des braillards. C’est, au mieux, du kitsch, comme le décrit Kundera, une parodie de mouvement qui nie la mort et le drame, et au pire une profanation. Ce qui est arrivé à Mireille Knoll, et ce qu’est l’antisémitisme dans ce pays, mériteraient mieux que ces agitations d’une élite communautaire insuffisante.
 
A.G. : Entre la relaxe de Julien Coupat et d’Yildune Lévy dans l’affaire du sabotage de lignes ferroviaires et les grèves des cheminots, la SNCF est au cœur de l’actualité. N’est-ce pas paradoxal, en ce jour de commémoration de la Shoah, de ne pas plus évoquer son rôle dans la déportation des juifs ?
C.A. : La responsabilité de la SNCF est un sujet passionnant si on aime le pilpoul*** juridique ou historique, mais ça ne me dit rien. Je suis fils de déporté, ma mère est une femme magnifique qui témoigne dans les écoles de sa déportation, mais en dehors de cela, de ce qu’elle fait et ce que font d’autres survivants, je m’abstrais des cérémonies et des polémiques autour de la Shoah. Elle appartient à quelques témoins et à l’Histoire. Il y a des culpabilités qu’on ne rattrapera pas, et qu’elles semblent essentielles aujourd’hui est baroque. Je me fous de la SNCF en fait. La France en 1945 a décidé de passer à autre chose. C’était terrible mais c’est arrivé. Dans certains quartiers, tu croisais le flic qui t’avait arrêté. Simone et Antoine Veil sont partis vivre en Allemagne. Ils ont revécu. Aujourd’hui, une injonction collective me renvoie à cette idée du kitsch. Il faut accepter non pas l’oubli mais le temps qui ne se rattrape pas. J’entends que la Shoah est l’absolu du mal, ce qui se discute du point de vue du Rwanda… Mais regardez, d’un simple point de vue juif. Après la première guerre mondiale, dans les guerres civiles russes et ukrainiennes, des dizaines de milliers de juifs ont été massacrés dans des pogroms abominables de cruauté. Le pogrom fut, dans la conscience de l’entre-deux-guerres, l’absolu de l’horreur antisémite. Plus personne n’en parle aujourd’hui. Mais d’un point de vue de la souffrance juive, entre les familles éventrées de 1919 ou les enfants gazés, quelle différence ? Que les bourreaux soient des Allemands civilisés dans un cas, des cosaques abrutis de l’autre ? Alors, Aimé Césaire avait raison : Hitler était choquant parce qu’il avait pratiqué chez les « Blancs », comprenez les blancs occidentaux, ce qui se perpétrait à l’encontre des colonisés – ajoutons dans l’Est sauvage de l’Europe… Le temps passe. Je ressens constamment l’irréparable de la Shoah – l’éradication d’une civilisation juive, dont je viens, dont je ne parle pas la langue. Mais à quoi bon? Vous me parlez de la SNCF ? Imaginez-vous des descendants de rescapés des pogroms faire un procès à des confréries de cosaques ? Elles sont à nouveau prospères…
 
A.G. : Pourquoi ne parle-t-on jamais de la déportation des Séfarades à Auschwitz et des gazés de Salonique au camp du Struthof, qui devaient composer une collection de squelette à l’université de Strasbourg ? Nicolas Sarkozy, lui même en partie originaire de Salonique, fut le premier président à ne pas se rendre au camp de Natzwiler-Struthof.
C.A. : Sans doute parce que l’éradication du judaïsme d’Europe centrale occulte tout le reste. Un grand historien du judaïsme séfarade, Haim Vidal Sephiha, belge d’ascendance judéo-espagnole-turque, aujourd’hui nonagénaire, a été déporté à Auschwitz. Il a écrit ! Mais c’est la loi du temps et des grands nombres. Ce qu’on appréhende du judaïsme séfarade en France se circonscrit à l’Afrique du Nord, dont le judaïsme ne fut pas exterminé… Des noms surnagent, tel le boxeur juif de Tunisie Young Perez… La Salonique juive fut effacée de la carte, mais c’est loin de nous… J’ignore pourquoi Nicolas Sarkozy n’a pas su être fidèle à cette ville d’où venait son grand-père Benedict. Je crois que c’est une affaire entre lui et lui. À un moment, et je sais que c’est horrible, la mémoire et les cérémonies ne peuvent plus contenir toutes les horreurs de l’Histoire. Les témoignages existent, on peut lire et entendre, c’est déjà bien. Je ne crois pas que les morts nous réclament un mausolée ou une injonction de mémoire ; leurs âmes nous appellent plus à essayer d’être justes, on en est loin. Nous insultons plus les gazés de Sobibor quand nous laissons un génocide s’accomplir en Afrique, et nous démontrons à chaque noyade de migrants que nous n’avons rien appris du Patria ou du Saint-Louis.
 
Entretien réalisé par Alexandre Gilbert pour Jewpop
 
Claude Askolovitch présente la revue de presse dans la matinale de France Inter et est chroniqueur dans l’émission 28 minutes sur Arte. Il collabore à Slate, Vanity Fair, au Nouveau Magazine littéraire et Explicite.
 
*période de deuil observée dans le judaïsme
**l’une des pièces centrales de la liturgie juive, la plus connue étant celle des endeuillés
***gymnastique intellectuelle entre deux étudiants, un maître et un étudiant… qui relève du postulat que les contradictions et les différents avis émis par les maîtres du Talmud ne peuvent être qu’apparents.
 
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Photo © : DR

Article publié le 15 avril 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

 

4 Comments

  1. Bonjour,
    J’adore votre site, j’adore son humour, vous êtes de gauche, c’est votre droit(nul n’est parfait)mais je trouve que vous poussez la complaisance un peu loin: Enderlin, Askolovitch, et pourquoi pas demain Dieudonné?

  2. Interessante cette interview mais trop rapide . pas de réaction de vos journalistes à la déclaration de la Shoah comme phénomène unique au regard du Rwanda
    Dans un cas , celui de la Shoah c’est sans doute le seul génocide de l’histoire prévu , préparé « scientifiquement à l’échelle d’un peuple Le génocide Rwandais a d’autres caractéristiques . Les 2 n’en sont pas moins insupportables !

    • les génocides tutsis et arméniens avaient été préparés méthodiquement, c’est même la caractéristique d’un génocide, sa préparation;
      Même si je vous rejoins là-dessus, chaque événements à ses spécificités techniques, historiques, sociales etc..
      Ceci dit, quand on regarde la propagande raciste du régime d’Habyarimana et du Hutu Power via la radio et les magasines, il y a certain trope qui personnellement me semble assez significative, minorité au pouvoir caché qui complote dans l’ombre, parasite en dehors de la nation etc. Il y a pas mal de similitude entre la construction du racisme anti-tutsis au Rwanda entre l’indépendance et le génocide, et l’antisémitisme européens

      • même si évidemment les comparaisons sont toujours délicates entre deux contextes différents

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