Dans son article « Pitié pour Polanski » publié par Jewpop, Laurent Sagalovitsch dénonce la « démoniaque légèreté » avec laquelle on traite toutes ces affaires. Sa consœur Titiou Lecoq a écrit « J’accuse Roman Polanski (et les réactions face à l’affaire) », une tribune publiée par Slate (site sur lequel est habituellement publié Laurent Sagalovitsch), dans laquelle elle critique ses défenseurs, qu’elle compare à certains catholiques face aux viols perpétrés par des prêtres.
« Pour eux, la religion et l’Église sont des valeurs absolues, et ça leur est extrêmement difficile d’affronter les révélations des victimes. Le prêtre accusé est toujours décrit comme tellement gentil, serviable, etc. Qu’est-ce qu’on peut se moquer de ces gens, les tourner en ridicule parce qu’ils sont obtus, aveugles, de mauvaise foi, qu’ils refusent de voir l’évidence, leur prêtre est pourri, leur Église est pourrie, c’est tout. Mais quand votre religion, c’est l’art, quand vos prêtres sont les artistes (et je n’écris rien de très neuf, le critique Paul Bénichou l’a analysé dans Le sacre de l’écrivain, et cela s’applique parfaitement aux cinéastes), eh bien là, brusquement, on a droit à des discussions quasi théologiques sur la suprématie de l’art, sur l’homme et l’artiste qu’il faudrait distinguer – soit, grosso modo, l’ancienne dichotomie entre l’âme et la chair. La chair est faible, mais l’âme est belle. » écrit Titiou Lecoq.
Roman Polanski, Caterina d’Amico et François Truffaut dans l’émission Apostrophes de bernard Pivot (1984, image Ina)
Et c’est bien le point crucial de cette polémique : le cinéma d’auteur, comme son nom l’indique, est une branche de la littérature. C’est tellement vrai que Roman Polanski fut invité dans Apostrophes aux côtés de François Truffaut, pour la dernière apparition à la télévision française du réalisateur des 400 coups, en 1984. Le « monument » Bernard Pivot, comme l’appelle Eric Naulleau, se dit alors « frappé par l’intimité qu’entretient Polanski avec la violence ». Mais durant 5 ans président de l’Académie Goncourt, qui sacre à son tour les nouveaux entrants, il porte la responsabilité plus qu’accablante d’avoir introduit la littérature pédophile et la culture du viol à la télévision française.
Au commencement était la gerbe. Le 26 novembre 1973, Pivot consacre une partie de son émission, Ouvrez les guillemets, à Tony Duvert, pédophile revendiqué, couronné du prix Médicis et proche de Roland Barthes. Pivot demande à Alain Robbe-Grillet si ses romans, comme certains critiques le disent, ne « débouchent finalement sur l’innocence et la pureté ? »
Bernard Pivot a reçu dix sept fois dans ses émissions Michel Tournier, qui n’a jamais caché son goût pour les jeunes garçons et fut pendant 38 ans membre de l’Académie Goncourt. Il reconnaît que ce dernier « a toujours côtoyé l’extravagant, le monstrueux, le terrible » et qu’on peut « retrouver dans ses romans une expression de la cruauté du XXe siècle. »
De l’écrivain Vladimir Nabokov, qu’il a invité dans Apostrophes, et dont le modèle du personnage de Lolita a depuis raconté le calvaire infernal qu’a été sa vie, il dit ceci : « Le narrateur et vil séducteur Humbert Humbert est un francophone. C’est pourquoi le texte de Lolita est truffé d’expressions et de mots français, choisis pour ajouter à la trouble sensualité de l’histoire. La France n’est-elle pas le pays des libertins ? »
On peut aussi s’interroger sur le timing de certaines émissions de Bernard Pivot. Le 20 avril 1979, il reçoit Guy Hocquenghem, militant LGBT qui vient de publier une interview du pédophile Tony Duvert dans Libération. Le 23 avril 1982, Pivot qualifie de « provocation » les cours d’éducation sexuelle plus que douteux que Daniel Cohn Bendit donna à des classes de maternelle, racontés dans son livre Le Grand Bazar.
Le père Pivot, aussi silencieux hier sur l’affaire Barbarin qu’aujourd’hui sur l’affaire Polanski, reçut Michel Foucault, qui refusait de distinguer le consentement du non consentement, puisque toute relation sexuelle est « contractuelle » par définition selon ce dernier. Puis il accueillit les défenseurs à la fois de la pédophilie et de la nouvelle droite, Renaud Camus et Gabriel Matzneff, celui-ci invité plus d’une dizaine de fois dans l’émission et publié alternativement par Philippe Sollers, Jacques Chancel et Marcel Jullian, qui deviendra directeur des programmes après l’éclatement de l’ORTF. Matzneff, aujourd’hui remis sur le devant de la scène médiatique avec la sortie du livre “Le consentement“ de Vanessa Springora, séduite par l’écrivain dans les années 80 alors qu’elle était âgée de 14 ans, et par le témoignage de l’auteure québecoise Denise Bombardier à France Info, qui rappelle son altercation sur le plateau d’Apostrophes avec l’écrivain en 1990, et comment elle fut ensuite blacklistée par Le Monde, où exerçait Josyane Savigneau, alors directrice du Monde des livres. Cette dernière, qui officie aujourd’hui sur l’antenne de la radio juive RCJ, continue à défendre bec et ongles Matzneff sur les réseaux sociaux, dénonçant une “chasse aux sorcières” et rappelant avec subtilité et bon goût à l’une de ses followers, la journaliste Anne Rozenberg qui l’interpellait sur ses prises de position, que son nom aurait dû l’“inciter à plus de réflexion sur les dénonciations”… Quand la défense à tout crin de la pédocriminalité se fond avec un tantinet d’antisémitisme à l’insu de son plein gré… #RozenbergVousÊtesJuive?
En 2016, Bernard Pivot se fit l’avocat du « courageux » livre de Frédéric Mitterrand La Mauvaise vie. Mais le cynisme atteint son comble lorsqu’amusé qu’on le confonde, il twitta sur le peu d’attrait sexuel que Greta Thunberg « aurait » pu inspirer « dans sa génération » aux jeunes garçons lyonnais, et encore aujourd’hui en réaction à “l’affaire Matzneff”, « Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale ; aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque », écrit sur Twitter l’ancien président de l’académie Goncourt.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, une vingtaine d’éditeurs critiquent l’omniprésence monopolistique de « La Grande Librairie », « cathédrale » de la promotion littéraire que furent Apostrophes, Bouillon de culture ou Double je. Notre monarchie présidentielle a conservé la sacralité de ses institutions culturelles. Pour François Mitterrand, la littérature était « plus importante que la politique ». L’actualité nous oblige à reconsidérer l’éthique du journalisme, et ainsi rendre aux victimes le droit de condamner la culture du viol.
Alexandre Gilbert
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© photos : captures d’écran INA / DR
Article publié le 18 novembre 2019, mis à jour le 30 décembre 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
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7 Commentaires sur "Apostrophes et la culture du viol"
Quel est le rapport avec l’article de Sagalovitsch ? Avec Polanski ? Qu’il fut un jour l’invité d’Apostrophes?
Et qu’est-ce que cet artcicle vient faire sur JewPop?
Mes excuse, je me réponds à moi-même ce qui est très impoli.
Je me demandais juste si le fait qu’Apostrophes ait remplacé Italiques avait un lien avec la vindicte dont vous poursuivez B. Pivot ?
Jewpop toujours à la pointe ! 😉 Inadmissible que Josyane Savigneau soit encore sur une radio juive après de tels propos…
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