La question peut vous paraître saugrenue. Sans doute parce qu’elle l’est. Quel rapport pourrait-il bien y avoir entre nous autres et ce petit homme rondouillard, au sourire affable, capable aussi bien d’éliminer son demi-frère que de balancer un missile balistique et faire exploser une bombe à hydrogène après une nuit difficile ? Aucun. Pourtant, à bien y réfléchir, la question a du sens.
À l’exception de votre dévoué serviteur, au moins un autre éminent représentant de notre chère religion mosaïque se la pose à ce moment précis. Vous l’avez reconnu : Benjamin Netanyahu, leader maximo, petit père de son peuple, grand timonier de la république populaire d’Israël, etc… Car il s’inquiète. Et pas seulement parce qu’il sait toujours aussi habilement user des mêmes ficelles, celles qui entretiennent les bonnes vieilles peurs au sein de l’opinion et sont toujours bénéfiques lorsque l’horizon qui prime est électoral. Non, pas seulement.
Je ne pousserai pas non plus l’insolence au point de laisser entendre que Bibi souhaiterait rester au pouvoir aussi longtemps que son homologue au cheveu dru et coupé en brosse. Ce n’est pas mon genre (rappelons ici que le premier a démocratiquement remporté plusieurs scrutins qui le maintiennent à son poste sans interruption depuis 2009).
Je ne me ferai pas plus l’écho d’une certaine presse israélienne (de gauche et dont le titre phare commence par un H) qui suggère que Bibi pousserait sur le devant de la scène Bibi Jr, son fils, afin qu’un jour il lui succède à l’instar de Kim 2 et Kim 1. Je ne vous raconterai pas plus que sa femme, contrairement à Paula Ben Gourion qui servait elle-même le café à ses invités de marque, pousse un peu le bouchon au point de se prendre pour Imelda Marcos. Mais je m’égare. Imelda, c’était les Philippines, pas la Corée du Nord.
Plus sérieusement, je suis convaincu que sur ce dossier hautement explosif, Benjamin Netanyahu est parfaitement en phase avec Donald Trump, lequel joue un jeu pour le moins dangereux face à l’apprenti-sorcier de Pyongyang. Et si Bibi et Donald avaient raison tous les deux ? Et si les agissements de la Corée du Nord d’aujourd’hui étaient annonciateurs d’un Iran nucléaire à venir ?
C’est précisément ce que pense et affirme haut et fort Nikki Haley, ambassadrice américaine aux Nations unies. Selon elle, Kim va accélérer la prise de conscience du monde à l’égard des intentions cachées de l’Iran. Et si l’accord de non-prolifération conclu en 2015 entre les deux pays ainsi que cinq autres grandes puissances (Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne nucléaire, n’est pas rapidement amendé, Téhéran risquerait de devenir la prochaine puissance nucléaire, à l’instar de son allié asiatique. « Les dirigeants iraniens veulent utiliser l’accord nucléaire pour prendre le monde en otage. Si nous continuons à dire ‘on s’en occupera plus tard’, nous allons avoir à faire à la prochaine Corée du Nord », martèle Madame l’Ambassadrice.
Justement, Trump a jusqu’à la mi-octobre pour décider s’il « certifie » ou non devant le Congrès le respect par Téhéran des termes de cet accord, une démarche, inscrite dans le texte, et qui doit être renouvelée tous les 90 jours. Le président américain va-t-il donc le valider une troisième fois ? A-t-il oublié qu’avant d’être élu à la Maison Blanche, il avait promis de « déchirer » l’accord nucléaire avec l’Iran ? Si tel est le scénario, la réponse à mon interrogation initiale est un « oui » massif : Kim, c’est bon pour nous.
L’autre option serait moins alléchante, voire sérieusement préoccupante. Comment oublier que le fameux kabbaliste, rav Nahmani, peu avant sa mort, a magistralement réussi à nous faire flipper en prédisant dès 2013 le bombardement nucléaire d’Israël par « Korea », lire : la Corée du Nord. De la part de quelqu’un qui avait entrevu la Guerre des Six Jours, la Guerre du Kippour et la Guerre du Golfe, la dernière prédiction en date nous oblige au moins à tendre une oreille attentive. D’autant qu’un de ses illustres coreligionnaires, le rabbin Ron Haya, rarement en retard d’un bouleversement, vient lui aussi de se fendre d’une vidéo annonçant sur YouTube pas moins que l’Apocalypse nucléaire déclenchée par Pyongyang. Autre signe tout aussi irréfutable : l’annonce tonitruante de Dieudonné qu’il se rendra en Corée du Nord en septembre afin « d’œuvrer pour la paix » dans la région. Venant, de la part de notre antisioniste compulsif préféré, impossible de douter de ses bonnes intentions…
Alors que faire ? Courir chez Leroy Merlin ou Home Center pour acheter quelques rouleaux de scotch ? Aux États-Unis, comme chacun y ayant vécu le sait, le scotch est l’arme ultime contre toute sorte de menace. C’est grâce à lui qu’il est possible d’étanchéifier une maison ou un appartement cible de toutes sortes de gaz, radiations, insectes, et liquides. Mon réflexe serait salutaire s’il n’était pas complètement idiot. Non à cause du scotch, véritable rempart gluant contre la barbarie, mais plutôt parce que je vis tranquillement à Paris qui, contrairement à Tel-Aviv, n’est pas une cible légitime pour Pyongyang.
Essayons plutôt de garder la tête froide. Ce qui n’est pas forcément rassurant non plus. A les analyser, on constate en effet que les relations entre les deux pays ne se sont jamais vraiment apparentées à une histoire d’amour. D’abord, la Corée du Nord n’a jamais reconnu l’État d’Israël qu’elle considère à ce jour comme un état « impérialiste » à la botte des États-Unis et qu’elle gratifie régulièrement de ses invectives via sa télévision d’État. La Guerre du Kippour avait été l’occasion de mettre cette rhétorique peu amicale en pratique en expédiant une vingtaine de pilotes et conseillers militaires afin de prêter main forte à l’Égypte. À plusieurs reprises durant ce conflit, des MIG-21 pilotés par des Nord-Coréens avaient affronté des F-4 de l’armée de l’air israélienne. Deux MIG avaient été abattus dans ces combats, dont un par erreur, par la DCA égyptienne. Depuis, le ton ne s’est guère adouci. A la fin des années 80, la Corée du Nord avait même opté pour des positions plus extrêmes que le chef de l’OLP Yasser Arafat, en affirmant que la souveraineté palestinienne s’étendait sur la totalité du territoire israélien. Son successeur, Mahmoud Abbas n’a pas oublié cette marque de solidarité et a récemment adressé à Kim un message ressemblant étrangement à une dédicace de bar-mitsva à Miami : « santé et bonheur ». Des vœux touchants qui faisaient suite aux marques de soutien affichés par la Corée du Nord à la cause palestinienne, notamment la livraison épisodique d’armes au Hamas et au Hezbollah. Les bonnes manières, c’est important. Les échanges de bons procédés aussi.
Il y avait bien eu une ébauche de tentative de réchauffement suscitée par la chute de l’ex-URSS. Israël avait alors suggéré d’expédier en Corée du Nord une délégation diplomatique. Mais lorsque le Mossad et le Premier ministre de l’époque Yitzhak Rabin avaient eu vent de l’expédition sans doute organisée en douce par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Shimon Peres, elle avait été torpillée aussi sec.
Aucune conciliation ne semble donc envisageable entre les deux pays. Plus que jamais, Israël considère la Corée du Nord et son programme nucléaire comme une menace pour sa sécurité et pour l’équilibre du Proche-Orient. Les services secrets israéliens ont la certitude que Pyongyang a fourni du savoir-faire en matière de fabrication de missiles à l’Iran, la Syrie, et la Libye. Le 6 septembre 2007, l’armée de l’air israélienne en obtient la preuve irréfutable lorsqu’elle tue une dizaine de conseillers Nord-Coréens qui s’activaient à la construction du site nucléaire d’Al-Kibar, dans la région de Deir Ezzor, en Syrie. Avigdor Lieberman, l’actuel chef de la diplomatie israélienne, bien connu pour son franc-parler, a récemment confirmé que le fossé était infranchissable lorsqu’il a qualifié Kim de «dingue à la tête d’une bande de fous extrémistes» dont le régime menace « la paix du monde» depuis qu’il a «franchi la ligne rouge avec ses essais nucléaires».
Essayons donc de nous rassurer en rappelant que les deux pays qui nous occupent ici se rejoignent timidement sur quelques terrains. Tous deux sont isolés dans leur région respective : Israël, démocratie dynamique au milieu d’une multitude de pays musulmans totalitaires et mal disposés à son égard, la Corée du Nord, état féodal et pauvre au cœur de plusieurs États asiatiques en pleine expansion et hostiles. Aucun des deux n’est signataire du TNP, le traité de non-prolifération nucléaire et les deux ont élaboré leur programme nucléaire sous le manteau. Comme quoi…
Jean Levis
© visuels : The New Yorker / YouTube/ Twitter / DR
Article publié le 26 septembre 2017, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop
Complice avec l’Iran à qui il fait passer tous les éléments en sa possession pour construire sa bombe nucléaire, le monstre de la Corée du Nord s’est entendu avec le monstre iranien pour « occuper non stop » l’esprit de Trump. Ainsi l’Iran passe au second plan et les Etats-Unis et l’Europe lui lâchent les baskets, le temps qu’il finisse tranquillement d’élaborer sa bombe.
Cher Jean Levis,
Je m’interroge sur « l’intention » de votre texte? Est-ce simplement le plaisir de rapprocher Bibi avec Kim Jong-Un ou celui de comparer Israël avec la Corée du Nord ou bien aviez-vous d’autres objectifs? Il me semble que c’est un peu étroit (ce qui est ennuyeux pour un Jean Levi’s) comme point de vue alors que le milieu de votre texte n’est pas inintéressant, bien écrit et parfois assez rigolo… Le pamphlet laisse finalement un goût amer et c’est bien dommage.
PS: Si ça vous démange tant que ça de dire du mal de Bibi, je vous encourage vivement à le faire depuis Israël. Ici, il y a plein de partis politiques dont c’est la principale occupation et qui vous accueilleront volontiers dans leurs rangs. C’est toujours mieux de critiquer Israël et ses gouvernants depuis Israël que depuis la France, ne serait-ce que par pragmatisme si vous avez le souhait d’être entendu.