Photo d'un rassemblement de juifs orthodoxes Jewpop

Témoignage : comment le Coronavirus m’a vaccinée contre l’orthodoxie

17 minutes de lecture

En France comme en Israël, la population juive orthodoxe est particulièrement touchée par le Coronavirus. La raison : les mesures de confinement y sont moins respectées. Dans ce témoignage-réflexion, Maya Haïm nous fait partager son expérience de cohabitation avec certains d’entre eux, en période de pandémie.

Comment le Coronavirus m’a vaccinée contre l’orthodoxie

Photo d'un haredi faisant un doigt d'honneur Jewpop

Je suis croyante, mais je n’ai pas grandi en école juive. Depuis quelques années, je me suis mise à prier, surtout le vendredi, et à respecter shabbat le plus possible. J’aime la manière dont ça me ramène à l’essentiel, et me fait sentir que je suis inscrite dans une longue histoire.

Il y a quelques mois, j’ai fait mon alya et me suis installée dans un oulpan (école d’hébreu) où logent cent cinquante nouveaux immigrants, parmi lesquels des orthodoxes1 affiliés à des courants sépharades, hassidiques et sionistes religieux (originaires de France mais aussi d’autres pays d’Europe, d’Amérique du nord et du sud).

Avant la crise du coronavirus, notre quotidien était rythmé par les cours d’hébreu, des ateliers, des sorties et des moments de partage, dans une ambiance dynamique et extraordinairement harmonieuse.

Quand les mesures de confinement ont été annoncées et que les activités ont cessé, je m’attendais à trouver un oulpan calme et relativement désert, où chacun essaierait de rester au maximum dans son appartement. Pourtant, cette même semaine, un immense brouhaha a envahi l’établissement : faisant fi des indications du gouvernement, des groupes de religieux ont continué à se réunir dans les espaces communs, chantant à tue-tête, criant et s’esclaffant de rire, inondant les groupes Whatsapp d’invitations à des activités et de photos où ils apparaissaient enlacés ou entassés les uns sur les autres, partageant la nourriture, sans se soucier des risques de contagion.

Le shabbat suivant, alors que nous étions censés demeurer dans nos appartements, ces mêmes personnes ont tiré des tables dans le couloir pour faire un grand repas de shabbat, chantant à tue-tête et tapant sur les tables, empêchant quiconque de parler, de lire, ou même d’esquisser une pensée, durant des heures interminables.

Dans les jours qui ont suivi, nous avons dû supporter cette colonisation sonore venant des espaces communs, comme si les chants de paix que nous connaissons tous s’étaient transformés en déclarations de guerre, entravant la tranquillité à laquelle nous aspirions.

Quand cette pollution sonore se calmait, mon appartement était envahi par des chants religieux venant de l’appartement d’à côté, au point qu’avec mes colocataires, nous en sommes venues à nous réjouir des heures où nos voisins sortaient, défiant les règles de la quarantaine. Car les chants ne cessaient qu’en leur absence.

Nous ne nous attendions pas à ça. Comment comprendre que des personnes capables de tant d’efforts pour respecter les moindres détails de la cacherout, soient à ce point incapables de rester chez eux et de supporter le silence ? C’est le douloureux sentiment de ne plus avoir d’espace mental pour penser, qui m’a mise sur la piste d’une réponse : et si tout ce bruit avait pour but ultime d’éviter de penser face à l’angoisse du vide ?

Car au final, qu’enseigne l’orthodoxie ? À appliquer un grand nombre de règles, extrêmement détaillées, qui sont respectées au nom de l’autorité hiérarchique des rabbins qui les ont énoncées. Là où les courants plus libéraux poursuivent la réflexion, les orthodoxes et les ultra-orthodoxes ne posent pas de questions si elles ne s’accompagnent pas immédiatement d’une réponse.

Et c’est exactement ce qu’il s’est passé quand des résidentes orthodoxes ont organisé un débat dans la synagogue de l’oulpan : les indécisions laissées ouvertes par le caractère inédit du Coronavirus ont donné lieu à un rejet en bloc, qui est allé jusqu’au bannissement du sujet, laissant sans voix les participantes qui avaient besoin d’en parler. Dix jours plus tard, quand a circulé sur les réseaux sociaux la proposition d’un rav2 de ne plus prononcer le mot « corona » car cela lui donnerait de la force, ces mêmes religieuses s’en sont saisies pour conforter leur réflexe de négation.

Et plutôt que de se confronter à l’exercice introspectif qu’impose la quarantaine, les orthodoxes de l’oulpan ont pris le parti de la passer en troupeau, ou plutôt en meute vociférante et gesticulante, marquant leur territoire dans toutes les pièces de l’école. Puis, à la manière des dépressifs qui postent chroniquement des photos d’eux tout sourire plutôt que d’affronter leur solitude, ils se sont mis à organiser toute une panoplie d’activités destinées à rester « positifs » (sorties vers des cours de Torah, temps de prière collective sans se priver de toucher les objets sacrés, jeux, chants, repas) aux dépens de leur santé et de celle des autres.

Pourtant, la Torah enseigne que tout ce qui est bon n’est pas forcément doux (c’est bien pour cela que l’on doit préciser oumétouka quand on se souhaite chana tova), ce qui signifie que la quarantaine peut être vue comme une épreuve bonne à traverser, et il est difficile de voir ce qu’il y a de « positif » dans le fait de propager un virus pour lutter contre l’ennui, ou contre la peur du vide.

Mais force est de constater que le mode de vie orthodoxe ne favorise pas l’introspection. Quand on y pense, il semble même destiné à l’éviter à tout prix en empêchant la solitude : prières matin midi et soir, multitude de fêtes calendaires, familles nombreuses, mariage à un jeune âge…

Dès lors, comment les orthodoxes pourraient-ils reconnaître la valeur spirituelle de la quarantaine, qui nous met au défi de nous sentir exister en l’absence du regard des autres, de nous sentir aimés sans être proches, de nous priver pour prendre soin de gens que l’on ne connait pas, et d’offrir un temps à la nature sans l’entraver, discrets comme pendant shabbat  ?

Cette forme de modestie là, cette acceptation du silence en nous et autour de nous, mais aussi du silence sur ce qu’on ne sait pas et sur ce qu’il va advenir, il ne suffit pas de s’habiller tsniout (modeste en hébreu) pour y accéder. Cet enseignement-là requiert de chercher le sens profond qui se cache derrière les indications factuelles, et de reconnaître la présence divine dans chaque expérience qu’il nous est donné de vivre.

Or, j’ai découvert avec surprise que le nivellement hiérarchique du savoir interdit aux orthodoxes de voir la présence divine dans les évènements du quotidien, tant qu’un rabbin ne l’a pas décrété. Cette absence de ressenti de la présence de D., il m’a semblé aussi la percevoir dans la justification de leur non-respect des mesures de confinement par l’idée qu’ils s’en remettent à Hashem. En effet, celui-ci n’est-il pas déjà intervenu dans leurs vies en les dotant d’un cerveau, d’un libre arbitre et des informations nécessaires pour protéger la vie ?

Tout se passe comme si les profondeurs de la sagesse juive avaient été occultées depuis tellement de temps par des questions d’application formelles, qu’au lieu de suivre le commandement central de protéger la vie, les religieux de l’oulpan ont entrepris de simuler la vie au détriment de la vie elle-même, en reproduisant mécaniquement les manifestations de joie qu’on emploie habituellement pour la représenter (chants, danses, repas partagés…).

Ce n’est pas la première fois que l’orthodoxie se drape de contradictions. Voilà déjà plusieurs années que des orthodoxes prennent comme prétexte la fameuse phrase « tu ne feras pas cuire un agneau dans le lait de sa mère » pour justifier leur usage abusif du plastique3 ; incapables qu’ils sont de voir qu’elle est précédée de la phrase « Vous ne mangerez d’aucune bête morte » et qu’elle fait partie d’une liste de principes appelant au respect du monde animal et végétal (jachère, règle de orla…). De même, on peut s’interroger sur le degré de hessed (principe de donner sans attendre en retour) qui motive les membres d’un univers où toutes les requêtes et les appels à la tsédaka doivent préciser qu’il s’agit d’une grande mitsva ; comme si aider les autres devait nécessairement s’accompagner d’une récompense.

Comme mon voisin, qui se rend à la synagogue tous les matins à cinq heures et trompe sa femme chaque semaine, les religieux de l’oulpan sont apparus dénués de toute réflexivité, ne prêtant attention ni aux plaintes des résidents ni aux demandes de la direction, ni même aux mesures du gouvernement.

Gonflés d’orgueil à l’idée d’être des leaders garants de la joie en temps de crise, c’est en lisant des téhilim et en répondant à des invitations au jeûne qu’ils prétendent lutter contre le virus. Car il est plus facile de réciter dix Ave Maria que de se priver de sortir. Car ils préfèreraient que la terre s’arrête de tourner plutôt que de renoncer à leur mode de vie réglé comme du papier à musique, réconfortant parce que fait d’habitudes, de réponses toutes faites et d’activités communautaires. Car ils sont tellement absorbés par la question de comment ils vont faire Pessah, qu’ils ne sauraient reconnaitre le Messie s’il leur apparaissait en plein nettoyage de printemps.

Alors maintenant, quand je les vois s’entasser pour commérer sur les résidents du oulpan qui descendent un par un récupérer leurs repas, j’entends le désespoir sous les éclats de rire. Et quand je les vois incapables de s’imposer les distances règlementaires sollicitées par les employés, j’aperçois la peur d’être seul face à soi-même quand on ne s’est pas rencontré. Et quand à shabbat, leur fracas de tables et de cris vient tambouriner dans ma tête, je ressens de la peine pour ces enfants perdus, si loin d’Hashem…

Maya Haïm

1 Les juifs orthodoxes revendiquent un mode de vie régi selon la Halakha. Contrairement aux libéraux et aux massorti, ils ne discutent pas les interprétations du Talmud car ils y voient une tradition orale aussi intouchable que la tradition écrite. Ils estiment être les dépositaires de cette transmission et considèrent comme non-valides les rabbins, décisions et conversions relevant d’autres courants du judaïsme. Il existe différentes branches de l’orthodoxie : haredisme, hassidisme Loubavitch ou Breslev, sionisme religieux, orthodoxie sépharade…

2 Yochiyahou Pinto, dont les vidéos sont publiées par Torah-Box.

3 C’est à cette phrase qu’est imputée la coutume de ne pas mélanger le lait et la viande, et les pratiques qui en dérivent, comme avoir deux vaisselles, deux éponges, voire deux éviers et deux frigos ; situation qui amène de nombreux orthodoxes à utiliser régulièrement des couverts en plastique pour s’éviter tant de vaisselle, au prix d’un énorme impact environnemental.

Copyright photos : DR

Article publié le 6 avril 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

2 Comments

  1. De toute facon, entre la promotion des mariages mixtes et la detestation des haredim, cela fait deja bien longtemps que « Jewpop » etait immunise contre le judaisme.
    Hag sameah

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