Luther Adler Magic Gace Jewpop

Luther Adler, l'acteur juif qui incarna 3 fois Hitler à l'écran

10 minutes de lecture

Si la performance de Bruno Ganz incarnant Hitler dans La Chute, réalisé en 2004 par Oliver Hirschbiegel, a marqué les esprits, le nom de Luther Adler, acteur juif américain venu du théâtre yiddish qui endossa trois fois le costume du dictateur nazi à l’écran, ne manquera pas d’intéresser les cinéphiles. En particulier pour un film rare réalisé en 1951 et projeté seulement deux fois en France, au Centre Pompidou en 2013 et à la Cinémathèque de Paris en 2018, The Magic Face.

Affiche The Magic Face Jewpop

Lutha Adler est né à Manhattan en 1903, dans une famille juive originaire d’Odessa. Ses parents, Jacob et Sara Adler, étaient acteurs, Jacob Adler fut l’une des immenses stars du théâtre yiddish, démarrant sa carrière en Russie avant de l’interrompre en 1883, alors que le genre est interdit par le régime tsariste. Jacob Adler émigre en Grande-Bretagne, devient une vedette du théâtre yiddish de Londres, avant de partir pour New York en 1889, où il crée sa propre compagnie qui connaîtra un immense succès, en particulier avec la pièce Der Yiddisher Kenig Lir (Le roi Lear yiddish), qui se déroule en Russie au XIXe siècle.

Jacob Adler Shylock Jewpop

Jacob Adler dans le rôle de Shylock, du Marchand de Venise de Shakespeare, théâtre yiddish

La fratrie Adler compte six frères et soeurs, tous « enfants de la balle », parmi lesquels Stella, son aînée de deux ans, qui fonda le « Stella Adler Theatre Studio » à New York en 1949. Elle y enseignera l’art dramatique pendant plus de quarante ans, comptant parmi ses élèves Marlon Brando, Warren Beatty, Mark Ruffalo, Benicio Del Toro, Sydney Pollack, Robert De Niro, Christopher Waltz,  Salma Hayek…

Luther Adler Sylvia Sydney Jewpop

Luther Adler fait ses débuts sur scène à l’âge de cinq ans dans le théâtre de son père, donnant la réplique à sa mère ainsi qu’à ses frères et sœurs. C’est en 1921 qu’il entame réellement sa carrière à Broadway avec «The hand of the potter» d’après Theodore Dreiser. Dans les années vingt, l’acteur se consacre à la scène, son nom s’affichant au fronton de pièces jouées à Broadway. En 1931, il rejoint la troupe du «Group Theatre», qui compte parmi ses membres Elia Kazan, Lee Strasberg et John Garfield. Ce collectif, politiquement marqué à gauche, produira de nombreuses pièces à vocation sociale et humaniste. En 1937, Luther apparaît pour la première fois au cinéma dans «Amour d’espionne» de Gregory Ratoff. En 1938, il épouse Sylvia Sidney, actrice d’origine juive roumaine et russe, à qui Fritz Lang offrira ses plus beaux rôles dans Furie, J’ai le droit de vivre et Casier judiciaire. Luther et Sylvia auront un enfant et divorceront en 1947.

Luther Adler Jewpop

Luther Adler

Jusqu’alors concentré sur le théâtre, Adler revient au cinéma en 1945, au générique du film «Cornered» d’Edward Dmytryk, puis en 1948 où il donne la réplique à Veronica Lake dans «Trafic à Saïgon», à John Wayne dans «Le réveil de la sorcière rouge» et à Rita Hayworth dans  » Les amours de Carmen». Les seconds rôles s’enchaînent, de «La maison des étrangers » (1949) de Joseph Mankiewicz, à «M. Le maudit» (1949) de Joseph Losey – remake du film de Fritz Lang de 1931 –, en passant par « Le fauve en liberté» (1950) de Gordon Douglas, «Au royaume de la pègre» (1952) de Joseph Kane et «Les assassins meurent aussi» (1954) de Lewis Foster. Luther Adler est alors une figure du film noir américain.

Luther Adler The Magic Face Jewpop

Mais c’est avec un film aujourd’hui totalement oublié et pourtant étonnant, « The Magic Face », que Luther Adler va frapper un grand coup, dans une performance absolument brillante. Sur un scénario délirant de Robert Smith et Mort Briskin, ce film réalisé par Frank Tuttle (surtout connu pour avoir livré des noms – et s’en être vanté – au Comité des activités anti-américaines, en mai 1951, en pleine « chasse aux sorcières », après avoir avoué son ancienne appartenance au parti communiste) raconte l’histoire d’un comédien-imitateur nommé Janus (il faut absolument voir Luther Adler imitant sur scène Mussolini au début du film !), qui pour se venger d’Hitler qui a séduit sa femme après une représentation, se fait engager comme son valet de chambre dans le but de l’assassiner – ce qu’il réussit à faire, à la veille de la bataille de Dunkerque ! – et le remplace ensuite en se grimant afin de mener le Troisième Reich à sa perte, ruinant les stratégies de guerre nazies. Comble de l’histoire, le film est introduit, façon docu-drama, par le célèbre journaliste américain William L. Shirer, connu aux USA pour sa couverture de l’accession au pouvoir d’Hitler, de la Seconde guerre mondiale et du procès de Nuremberg. Une figure incontournable du paysage médiatique américain d’alors, caution de sérieux absolu. Le NY Times ne s’y trompera pourtant pas dans sa critique du film publiée le 1er octobre 1951, concluant ironiquement sur le mode « on a quand même du mal à gober ça »…

Mais ne boudons pas notre plaisir, car « The Magic Face », s’il reste une curiosité cinématographique, est loin d’être un nanar. Le film est évoqué par Colin McCabe dans un article sur Chris Marker paru dans l’excellente revue Trafic (éditions P.O.L.) en 2012. Le futur auteur de La Jetée aurait vu ce film étrange dans une salle de Los Angeles en 1952, et ne s’en serait pas remis. L’auteur de l’article, notant que The Magic Face avait disparu des écrans et n’avait jamais été distribué en France, écrit alors « On mesurera l’importance que ce film revêtait pour lui au fait que, tandis que je laissais sur son répondeur un message balbutiant pour expliquer que je lui en avais apporté une copie à Paris, Marker (qui filtrait toujours ses appels) décrocha soudain et me lança : “ Vous êtes le Messie ! ”. »

Luther Adler Un violon sur le toit Jewpop

Luther Adler dans « Un violon sur le toit »

Quant à Luther Adler, il aura droit à sa seconde moustache-postiche hitlérienne l’année suivante, en 1951, dans «Le renard du désert» de Henry Hathaway. La scène mémorable qui l’oppose à James Mason (dans le rôle-titre du maréchal Rommel), a sans nul doute inspiré Mel Brooks pour son remake de To be or not to be. La troisième incarnation d’Hitler par Luther sera la dernière, pour la série télé La Quatrième dimension. Au cours des années soixante, il se consacrera essentiellement à la mise en scène de pièces, parmi lesquelles «Vue du pont» (1960) d’Arthur Miller, montera «Un violon sur le toit» en 1965, dans lequel il jouera le rôle de Tévié, et «La valse des toréadors» de Jean Anouilh en 1969. En 1981, pour sa dernière apparition au cinéma, il est l’Oncle Santos dans «Absence de malice» aux côtés de Paul Newman et Sally Fields. Luther Adler est décédé le 8 décembre 1984.

Y-a-t’il une moralité à cette histoire ? Le théâtre yiddish mène vraiment à tout !

Alain Granat

Voir The Magic Face sur YouTube (dans une copie de très mauvaise qualité…)

Voir The Desert Fox (Le Renard du désert) sur YouTube

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© photos : DR

Article publié le 15 novembre 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

 

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