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Peggy Sastre : "J'ai été élevée dans la conviction que les nazis allaient revenir un jour ou l'autre"

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Peggy Sastre, évoféministe libertarienne, est à l’initiative de la « Tribune des 100 » dans Le Monde, pour une « liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », médiatisée  par Catherine Deneuve. Elle publie Comment l’amour empoisonne les femmes, aux Éditions Anne Carrière.
 
Alexandre Gilbert : Pensez-vous encore qu’étant « mi-juive, mi-rien. Pour vivre mieux, il faut rester caché » ?
Peggy Sastre : J’ai un ami historien qui m’a un jour expliqué (en substance) que l’exigence de neutralité portée par la laïcité relevait aussi de la protection individuelle : ne pas montrer son identité, c’est aussi se protéger de ceux qui la considèrent comme nuisible et chercheraient dès lors à vous nuire. Les actes antisémites restent les plus nombreux en chiffres absolus et explosent tous les compteurs quand on les rapporte à la proportion de la population que représentent les juifs. C’est aussi fascinant qu’effrayant, cette permanence de la haine en général et pour quelqu’un comme moi qui est à la fois très attachée à la mutabilité des phénomènes et qui a été élevée dans la conviction que les nazis allaient revenir un jour ou l’autre. À l’adolescence, j’ai longtemps porté une étoile de David autour du cou, parfois associée à une main de Fatma parce que cela symbolisait bien ce que j’estimais être, à l’époque, mon « héritage identitaire ». Et puis en vieillissant, j’en ai eu de plus en plus marre des symboles et de l’identité, un concept qui désormais m’étouffe. C’est ce que décrit brillamment Oliver Rohe dans Défaut d’origine : l’identité, c’est la fiche qu’on remplit à l’école et à laquelle on sera constamment réduit, ramené, qu’importe qu’elle ne soit qu’un résumé parcellaire. Et c’est surtout quelque chose qui ne vous appartient pas, qui n’est pas de votre responsabilité. Que mes oncles et cousins éloignés se soient pris une balle dans la nuque dans une forêt est-européenne quelconque, ou que d’autres de mes ancêtres aient survécu aux persécutions d’Isabelle la catholique en se convertissant est sans doute important pour l’histoire de l’humanité, mais pas pour la mienne.
 
A.G. : Quel est le point commun entre Friedrich Nietzsche, Charles Darwin et Alexander Bard ?
P.S. : Je ne pourrais pas le dire. Une individualité très forte, peut-être ? Mais je crois qu’ils n’ont d’autres points communs que d’être et d’avoir été très significatifs dans ce qui constitue aujourd’hui mon « parcours de vie ». Vous y rajoutez Prince, Pascal Quignard, Bertrand Russell et Jordi Savall, et les gros traits de mon portrait chinois sont tracés.
 

Comment l'amour empoisonne les femmes Peggy Sastre

 
A.G. : Ophélie suicidée dans la rivière en couverture de votre livre rappelle Hamlet et Oedipe d’Ernest Jones, leitmotiv de Wonder Wheel de Woody Allen. Vous avez traduit plusieurs articles sur l’affaire Dylan Farrow pour Slate. Quelle est votre analyse actuelle de l’affaire ?
P.S. : Qu’on ne devrait pas se prononcer sur ce genre d’affaires sans avoir accès à l’intégralité du dossier, mais compte tenu de ce que je commence à connaître de la pédocriminalité, je dirais que Woody Allen n’a pas le profil. Les accusations que portent Dylan Farrow me semblent plutôt correspondre à un cas de faux souvenir induit, dans le cadre d’une très très sale affaire de divorce entre personnes très très névrosées. Et ça ne serait malheureusement pas la première fois que la rage d’une femme trompée aurait fait feu de tout bois. Après, ce n’est pas tant une analyse qu’une impression, et à ce titre elle n’est pas très intéressante.
 
A.G. : Vous affirmez ne pas vouloir d’enfants, avoir été violée, vous en foutre, avoir vécu votre avortement comme l’un des plus beaux jours de votre vie. Est-ce toujours le cas ?
P.S. : Absolument. J’aime beaucoup l’idée d’être une branche morte : puisque personne ne me suit, tout m’est permis.
 
A.G. : Pourquoi vos contradicteurs ne sont-ils quasiment que des femmes ?
P.S. : Parce que la compétition féminine est ainsi : elle est aussi banale que méconnue. Et que contrairement à certaines « idées reçues », il n’y a pas meilleure qu’une femme pour tenter par tous les moyens d’en faire rentrer une autre « dans le rang ».
 
A.G. : Catherine Deneuve et Maiwenn vous soutiennent, tandis que la cérémonie des Césars et le mouvement #maintenantonagit soutenu par Rose Mc Gowan semble s’essouffler. Y-a-t-il une exception française en la matière ?
P.S. : Je ne sais vraiment pas, car à titre personnel, c’est aussi en lisant des analyses « dissidentes » sur #metoo dans l’anglosphère que je me suis décidée à coécrire cette tribune. Je reviens à la première question : selon moi, l’identité est une mauvaise porte d’accès aux idées et la nationale encore plus. Ma « communauté », ce sont avant tout les gens qui préfèrent faire marcher leur esprit critique aux dépens de leur esprit tribal et ils se retrouvent dans tous les pays.
 
Entretien réalisé par Alexandre Gilbert
 
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Photo © : Natacha Nikouline / DR

Article publié le 11 mars 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

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