Pierre Tchernia est décédé le 8 octobre 2016 à l’âge de 88 ans. Son père, Isaac Tcherniakovski, était un ingénieur ukrainien d’origine juive né à Odessa en 1874. En 1995, à l’occasion du centenaire du cinéma, l’écrivain et journaliste Jean-Baptiste Harang brossait dans Libération un magnifique portrait de ce personnage légendaire de l’ORTF, qui a marqué de son empreinte des générations de téléspectateurs et de cinéphiles.
Le cinéma a cent ans, dont deux tiers de Pierre Tchernia. L’un est né en 1895, l’autre en 1928 à Levallois, faites le calcul. Le fait de naître à Levallois intervient peu mais c’est ainsi que se font les vies. Le petit Pierre Tchernia (en russe «tchernia» veut dire «noir» mais cela n’explique pas tout), s’appelait encore Tcherniakovski (en russe «tcherniakovski» signifie «noir», mais en plus long). On dit le Petit Pierre, ça étonne aujourd’hui, vu l’ampleur du personnage, mais, comparativement au reste de la famille, Pierre était tout petit, on peut même dire qu’il venait de naître, alors que ses trois frère et sœurs avaient déjà des vingt ans et plus, son père cinquante-quatre et sa mère bien coquette. Un enfant né pour être gâté.
Monsieur Tcherniakovski était russe, forcément. Il n’avait pas attendu qu’on divise les Russes en blancs et rouges pour fuir la misère tsariste, avec un métier en poche, serrurier, et une idée en tête, épouser une Française, et faire des enfants français. Il s’arrête quatre ans en Allemagne pour se perfectionner et devenir ingénieur en chauffage central avant de s’installer en France en 1898 et travailler dur pendant des décennies pour se payer bien tard sa première Rosengart : «Mon père n’a jamais dit un mot de russe à la maison, il nous a donné le plus beau cadeau du monde: il nous a faits Français.»
À côté du gros cadeau, il y en eut un autre tout aussi déterminant, la première séance à cinq ans au Magic-Ciné à Levallois : «On projetait Jean de la lune, ma mère m’y a emmené parce que j’apprenais à l’école une comptine du même nom, en fait c’était une histoire de cocu, une pièce de Marcel Achard avec René Lefebvre et l’immense Michel Simon, aucune importance, je me souviens seulement d’un train qui déboulait dans la nuit et de la trouille que j’ai eue, demandez autour de vous, les premiers souvenirs de cinéma sont presque toujours liés à la peur.» Après, leurs vies ne se sont plus guère séparées, et aujourd’hui, pour les cent ans de son compère le cinéma, Pierre Tchernia entreprend un périple dans quarante-deux villes de la province française pour faire partager à un public trié sur le guichet l’émotion intacte de cette longue liaison.
À douze ans, Tchernia voit La Chevauchée Fantastique et comprend définitivement ce qu’est le cinéma : «Il n’y avait pas de miracle, ces merveilles étaient ourdies par des gens, j’ai su très tôt que je voulais être celui qui raconte des mensonges projetés sur des draps de lit.» Il lui faudra attendre la fin de l’Occupation pour voir d’autres films américains, ils étaient interdits ainsi que les films français où figuraient des personnalités connues pour résister, ou des Juifs, «je me souviens qu’on avait retourné toute la fin d’Entrée des artistes avec une doublure à la place de Marcel Dalio dans les gros plans, dans les plans larges on reconnaissait sa silhouette, ces copies sont aujourd’hui introuvables». C’est une époque où le bac se passe au pluriel, on dit les bachots et on entre dans une école de photographie rue de Vaugirard avant d’intégrer l’Idhec qui s’appelait encore le CATJC mais on ne sait plus bien ce que veulent dire les lettres. Pierre Tchernia est dans la même promotion que Claude Sautet, il saute une classe.
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Article publié le 8 octobre 2016