Parti le jour de ses 91 ans, l’icône du graphisme Milton Glaser aura créé le logo le plus célèbre au monde, et marqué son époque avec ses extraordinaires réalisations.
I ♥ New York
Tout le monde connaît Milton Glaser sans le savoir. Tout le monde l’aime, avec un cœur gros comme celui du célébrissime « I ♥ New York », dont le croquis initial est exposé au MoMA.
Un logo réalisé en 1976 pour promouvoir le tourisme dans l’État de New York, dont son auteur qualifiait la création de “miraculeuse”, et pour lequel il avait décidé de ne toucher aucun droits. Cette création n’est que la partie immergée de l’iceberg Glaser, entre identités de magazines, emballages, systèmes de signalisation, logos, design de magasins et restaurants, typographies, couvertures de livres, pochettes de disques, affiches… dont le poster devenu culte inséré dans l’album Greatest Hits de Bob Dylan en 1966.
Né dans le Bronx en 1929, dans une famille juive originaire de Hongrie, son père gère une blanchisserie-atelier de couture, sa mère est femme au foyer. Enfant, un cousin plus âgé dessine un oiseau sur le côté d’un sac en papier pour l’amuser. «Du coup, j’ai failli m’évanouir en réalisant qu’on pouvait créer la vie avec un crayon !», racontait-il au magazine Inc. en 2014. « C’est à ce moment-là que j’ai décidé de passer ma vie à dessiner ». À 8 ans, il commence par dessiner des nus qu’il revend un penny l’exemplaire à ses camarades de classe. Si sa mère l’encourage dans la voie du dessin, son père craint qu’il ne puisse gagner sa vie ainsi et le pousse à être avocat ou médecin. Le jeune Milton persiste, prend des cours avec Raphael et Moses Soyer, artistes du réalisme social, avant de s’inscrire à la High School of Music & Art de Manhattan. Il échouera ensuite deux fois à l’examen d’entrée à l’Institut Pratt, travaillera dans une entreprise de conception de colis avant d’être accepté par la Cooper Union for the Advancement of Science and Art. C’est là qu’il rencontre Seymour Chwast, Edward Sorel et Reynold Ruffins, jeunes étudiants qui ont loué un loft à Greenwich Village et y ont créé une petite société de design, Design Plus.
“Nous étions libres d’utiliser toute l’histoire visuelle de l’humanité ”
L’équipe de l’agence Push Pin, Milton Glaser au centre (cravate club)
Jusqu’au milieu des années 70, Push Pin exercera une influence considérable dans ces secteurs. « Notre marque de fabrique » expliquait Milton Glaser « c’était de n’avoir aucunes limites dans nos influences, nous étions libres d’utiliser toute l’histoire visuelle de l’humanité », poursuivant « L’Art nouveau, le dessin au lavis chinois, les gravures sur bois allemandes, les peintures primitives américaines, la sécession viennoise et les dessins animés des années 30… tout était une source d’inspiration sans fin », ajoutant «Ces éléments que la doctrine graphique en vogue à l’époque semblait mépriser – ornementation, illustration narrative, ambiguïté visuelle – nous attiraient.» Parmi les créations de Push Pin, le célèbre style “cartoon grassouillet”, créé dès la fin des années 50, qui inspirera les créateurs de Yellow Submarine des Beatles.
Milton Glaser se positionne alors à la façon d’un DJ du design, mixant des styles a priori éloignés pour les intégrer dans ses créations contemporaines. Ainsi, pour une publicité Olivetti en 1968, il modifie une peinture du XVe siècle de Piero di Cosimo et y insère la nouvelle machine à écrire portable de la société italienne, aux pieds de la nymphe morte dans l’œuvre originale. De même, le célèbre poster Dylan inséré dans l’album Greatest Hits se base sur une silhouette d’autoportrait en noir et blanc de Marcel Duchamp, dont il s’inspire pour créer ce profil de Dylan, auquel il adjoint d’épaisses volutes de couleurs pour la coiffure de l’artiste, formes qu’il a découvert dans l’art islamique. Plus de 6 millions de reproductions de cette affiche seront vendues, cette création de Glaser devenant l’une des images icôniques du psychédélisme.
“Il y a 3 réponses possibles à une production de design : oui, non, et WOW !”
En 1968, il créé le New York Magazine avec Clay Felker, hebdo politique et culturel consacré à la ville et à l’État de New York, dont il sera le directeur artistique, imposant un format et un graphisme éditorial toujours en vogue aujourd’hui, puis fondera sa propre agence, Milton Glaser Inc., en 1974. La fin des 70s lui apporte une notoriété mondiale, avec son plus célèbre logo, dessiné au dos d’une enveloppe avec un crayon rouge, lors d’un trajet en taxi. «I ♥ NY» devient le symbole de la Grosse pomme, à l’égal de la Statue de la Liberté ou de l’Empire State Building. Après les attentats du 11 septembre, alors que les t-shirts arborant le logo se vendent par milliers, Glaser en conçoit une adaptation, «I ♥ NY plus que jamais» avec une ecchymose sombre sur le cœur rouge – qui sera distribuée sous forme d’affiche dans toute la ville et reproduite sur la première et dernière page du Daily News le 19 septembre.
En 1983, avec Walter Bernard, Milton Glaser fonde WBMG, une société dédiée à la conception de magazines et de quotidiens, qui comptera parmi ses clients le Washington Post ou encore O Globo. L’hebdomadaire Newsweek l’a nommé comme «l’un des rares génies dans le domaine de la création d’images». Parmi ses dernières créations, des affiches pour la dernière saison de la série Mad Men. Outre le MoMa, ses œuvres ont fait l’objet de rétrospectives au Musée d’Art Moderne de Paris et au Centre Georges Pompidou.
« Il y a trois réponses possibles à une production de design : oui, non, et WOW ! Wow est la réaction que vous devez rechercher » disait Milton Glaser. Un génie au sens de l’humour non moins légendaire que ses créations, qui n’avait pas échappé aux créateurs de la série vidéo Old Jews Telling Jokes. C’est dans son studio qu’il racontait, voilà 9 ans, cette hilarante histoire juive sans doute inspirée par la vie de son père.
Alain Granat
© photos et visuels : Milton Glaser / MoMa / DR
Article publié le 27 juin 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop