Ça dépend dans quel sens on prend l’expression. Oui, l’israélien est un globe-trotter. Jeune ou vieux, il parcourt le monde. Mais, attention, ce n’est pas un frayër (pigeon en yiddish). Il a plus d’un tour dans son sac à dos. Décryptage.
S’ouvrir au monde
Voyage et découverte soit, mais pas question de se faire avoir par l’autochtone, et pour ça il a de bons réseaux. D’abord, il a toujours un « Huggy les bons tuyaux » dans la bande qui lui dit exactement où il doit aller pour rencontrer le maximum d’Israéliens. Vous êtes alors tenté de souligner que c’est un peu con de faire 22 heures d’avion pour aller manger un houmous dans le bush australien. Mais comme il a réponse à tout, il vous dira qu’à Yaffo vous n’avez pas le cri du kangourou…
Ensuite, il ne risquera jamais une indigestion dans un boui-boui local. Il est beaucoup plus malin. Il va de banquet en banquet du Beit Habad, manger à l’œil, à Bangkok, Katmandou, Dharamsala, où il est certain, en plus, d’assister à des retrouvailles émouvantes. Il rencontre systématiquement deux, trois potes qui vont continuer le périple avec lui et les dix autres – pas forcément des amis de longue date, mais des gars sympas qu’il a connus sur les forums Tapuz et Hametayel en préparant son voyage. Ils fredonneront bientôt tous ensemble des tubes de Shlomo Artzi pendant les treks. Ils ne le savent pas encore. C’est beau. C’est ce qu’on appelle la hevrei.
En voyage, il a le don pour se sentir chez lui partout. (Faudrait lui demander d’ailleurs s’il avait l’habitude de piquer les serviettes et les robinets des lavabos chez ses parents). Home sweet home. Il recrée sa chambrée d’armée dans n’importe quelle yourte népalaise pourvu qu’elle ait de la moquette. C’est en général là qu’il entre en phase de maturation politique et envisage de voter pour Alei Yarok* aux prochaines élections.
Beit Habad à Kasol, Inde
L’aventure c’est l’aventure
Trois ans d’armée ça vous forge le caractère et les muscles. Il n’a peur de rien. Des fois, ses parents n’ont plus de nouvelles de lui. Ils s’attendent à tout : enlevé par le Sentier Lumineux sur un vieux sentier péruvien qui ne figure sur aucune carte ? Mauvaise chute de cheval sur une plaine de Mongolie balayée par la mousson ? Retenu en otage dans une tribu cannibale de Papouasie qui mange casher – pas de bol – ?
Ils savent qu’avec lui c’est Ushuaïa tous les jours et, pour eux, la différence conceptuelle entre casse-cou et casse-couilles tend à s’annuler. Ils ont peur de lire les journaux et tremblent en écoutant la radio. Et ce ne sont pas les photos qu’il poste sur Facebook qui les rassurent : en équilibre sur un pied au bord d’un précipice, avec un t-shirt « I love Tsahal » au milieu de camarades talibans, ivre mort à Tbilissi trinquant avec une vache, dans une favela des faubourgs de Rio avec quatre transsexuels brésiliens, etc… En tout cas, lui, il a l’air de bien s’amuser.
Pendant trois ans, ses parents ont vécu l’angoisse au ventre. Mais sans répit vraiment. Parce que même pendant ses permissions, il partait décompresser dans le Sinaï chez Al-Qaïda. Et lui, ingrat au possible, à peine démobilisé, il se casse au Guatemala, en pleine révolution bolivarienne, à la première occasion.
Very bad trip
Il n’est pas forcément chanceux en plus. Il est de tous les tsunami. Je ne sais pas si vous avez noté, mais dès qu’il y a une catastrophe naturelle – ou pas – quelque part, figurent au compteur des disparus, des Israéliens. Il peut y avoir zéro américain – les États-Unis, plus de trois cent onze millions d’habitants – mais vous aurez toujours six ou sept mecs de Kiriat Ono ou Petah Tikva qui se baladaient sur la faille de Pétaouchnock lors d’une malencontreuse tectonique des plaques.
Comme dirait Jewpop, ils sont partout ! Et, du coup, même quand ils démentent fermement avoir été jouer au tennis à Dubaï ou visiter une centrale nucléaire en Iran, personne ne les croit !
Voyager intelligent
En grandissant, il s’assagit quant au choix de ses destinations. Il arrête d’aller dans le Cachemire et il fait la route de la soie. Oui, avec l’âge, il se cultive un peu, lit des bouquins sur les civilisations anciennes. L’envie lui prend soudain de résoudre les mystères de l’Île de Pâques ou de longer la muraille de Chine pendant deux mois. Il revient avec des idées originales de business comme cabinet d’acupuncture qui fait art de la calligraphie Ming, ou alors import de survêtements pour chiens col Mao.
Il s’affirme esthète mais surtout fin gourmet. Il est vrai qu’il en a bouffé du Master Chef et consorts pendant l’année. Il s’en va de route du vin en route blanche (celle des fromages). Il n’est pas improbable de le croiser en Bourgogne ou dans le Larzac. Il est reconnaissable à son gros doubone à capuche (la doudoune version israélienne), celui qu’il met pendant ses milouim et dès que le baromètre tombe à 19 – alors que les Français sont encore en maillot de bain au Lalaland avec le rejeton Sarkozy !
Il explore deux vignobles et le voilà avec douze projets de nouveaux cépages, de start-up vinicole et de cuisine moléculaire. Quand d’autres reviennent avec des souvenirs, lui rapporte des brevets technologiques. C’est brillant. C’est ce qu’on appelle la hokhmologie.
Et ça peut filer des complexes, surtout quand vous êtes de ceux qui, en guise de vacances, pratiquent essentiellement le pont aérien TLV-Paris-TLV, avec des camemberts emballés sous vide dans les valises !
Chatsland
*Le parti qui prône la dépénalisation du cannabis
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Article publié le 26 décembre 2011. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop