Ce titre ressemble à une chanson de Vegedream, l’esprit festif en moins. Cette année, j’ai donc passé Yom Kippour à la maison. J’avais reçu les cartons et les WhatsApp de réservation de la part de ma synagogue se présentant comme championne des mesures sanitaires, pourtant j’ai préféré ne pas y mettre les pieds. Sans vouloir faire ma crevarde, j’ai pensé : « Yom Kippour confiné, 150 euros économisés. »
J’avais vu des modélisations de circulation du coronavirus en milieu fermé type synagogal, et à moins d’être troisième dan en Flight Simulator ou un dribbleur aguerri niveau Kylian M’bappé, il m’apparaissait difficile de ne pas le chopper. J’ai appliqué le principe de précaution : « Yom Kippour à la maison, moins de monde en réanimation. »
D’aucuns y opposeront le principe de confiance en Hashem. Je ne les juge pas, chacun gère la ligne de crête et sa ligne de crainte comme il peut.
J’ai donc passé la journée du lundi 28 septembre 2020 à jeûner et à prier à la maison. Quitte à plaider d’office coupable, j’ai mis un plaid sur mes épaules façon talith de fortune. J’ai ouvert mon rideau en grand pour ce long monologue les yeux dans les Cieux, je me suis installée sur ma chaise la plus confortable et j’ai tourné toutes les pages de mon livre de prières pour espérer tourner celle de cette année bien bien pourrie.
J’ai commencé à lire la prière du matin (Cha’arit) en français, de façon mécanique. J’ai arrêté de lire de façon mécanique quand je suis tombée sur la phrase « Sois loué, ô Eternel, notre D’ieu, roi de l’univers, qui ne m’as pas créé femme. [la femme dit : Qui m’as faite selon sa volonté.] » J’ai eu une pensée pour feue Gisèle Halimi.
J’ai poursuivi avec, en vrac :
– le Chéma en ne me touchant pas le nez
– le Moussaf en battant, haut la main, Claude sur l’épreuve des poteaux de Koh Lanta
– les selihot avec des mélodies dignes de David Guetta sans provoquer d’averses
– l’histoire de Jonas et sa baleine, aka Jason Statham et son requin
– l’histoire du bouc émissaire pas du tout du tout SPA friendly
– des pensées déviantes à base de Covidouï et de Call Nidré
– le tuto peinture au sang du Grand Prêtre où, limite au bout du roul’, je me suis emmêlé les pinceaux
– des souhaits de bonne santé, de re-trouver un emploi, de que-Alexis-ou-Noam-répondent-à-mes-putains-de-messages-et-qu-il-soit-mon-amoureux-bordel
– les multiples génuflexions pour accompagner Moïse
– la Néhila sans passer par la case « enchères »
J’ai eu quelques doutes sur ma santé mentale au moment des répétitions de Amida et de bénédictions des Cohanim, où il m’a bien fallu me dédoubler, jouer à la fois l’officiant et le fidèle. Mais bon, niveau perte de repères, on n’est plus à ça près.
J’ai regretté que les responsables de ma communauté n’aient donné aucune consigne pour ceux qui prieraient à domicile, ne privilégiant que les confiants et les fortunés inscrits aux offices de la synagogue.
Au gré des 1000 pages de mon livre (mille pages, une par cas de contamination journalier en France), et des 25 heures de jeûne, je me suis livrée à des calculs savants (de Marseille) pour évaluer ma vitesse de prière. J’ai pu me ménager aussi quelques pauses à base d’étirements, de changement de tenue, d’ouverture de fenêtre, de comptage de lattes de parquet…
J’ai aussi eu une crise de foi, je me suis demandé pourquoi je faisais tout ça aussi scrupuleusement, alors que d’autres ne le font pas et ont une bien meilleure vie que la mienne. Mettre les pieds dans le plat, un jour de jeûne…
Enfin, à 20h22, sans faute, je me suis savonné les mains, j’ai mangé et j’ai allumé la télé pour regarder « Plus belle la vie ».
Ingrid Zerbib
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© photo : Ingrid Zerbib
Article publié le 29 septembre 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
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