Affiche du film Les Magnifiques Jewpop

L'interview Jewpop de Mathieu Alterman pour son film "Les Magnifiques"

11 minutes de lecture

Diffusé sur Paris Première au mois de décembre dernier, « Les Magnifiques », documentaire écrit et réalisé par Mathieu Alterman et Yves Azéroual, avec Philippe Dana comme narrateur, conte l’extraordinaire parcours de cinq personnages venus d’Afrique du Nord, qui chacun à leur façon ont révolutionné la pop culture française des années 60 à 80. Enrico Macias, Robert Castel, Régis Talar, Philippe Clair et Norbert Saada sont « Les Magnifiques ». Mathieu Alterman nous parle de ce formidable projet.

Photo représentant Regis talar, Enrico Macias et Philippe Clair

Régis Talar, Enrico Macias et Philippe Clair au restaurant La Boule rouge, extraite du film « Les Magnifiques »

“Malgré leur réussite, « Les Magnifiques » n’avaient pas oublié d’où ils venaient”

Jewpop : Comment est venue l’idée des « Magnifiques », que tu as coécrit et coréalisé avec Yves Azéroual ?

Mathieu Alterman : J’adore la pop culture des années 60-70-80 tout comme la nourriture sépharade. J’allais régulièrement dans des restaurants où des riches mangeaient avec des pauvres la même chose : couscous, sandwiches au thon, pkaïla (ma passion !)… C’est cette mémoire collective qui m’a donné envie de faire ce film, montrer que malgré leur réussite ils n’avaient pas oublié d’où ils venaient. J’ai parlé du projet à Philippe Dana qui m’a mis en contact avec le producteur Alexandre Amiel, qui m’a tout de suite dit oui et qui a fait venir Yves Azéroual, un as du montage et de la structure narrative.

J. : Chacune de ces personnalités mériterait un 52′ tant il y a à raconter sur leurs vies. Avez-vous eu des difficultés à choisir au montage les séquences les plus marquantes ?

M.A. : Il y a de quoi faire une saga tant ils fourmillent tous d’anecdotes. On a dû faire des coupes, c’était dur de retirer Norbert Saada qui présente Jean Gabin à Sergio Leone, Philippe Clair qui s’étonne que dans les années 80 Richard Anconina nie le connaitre alors que c’est son cousin, Robert Castel avec Alain Delon, Enrico Macias qui fait shabbat avec Dario Moreno ou Régis Talar qui devait signer Claude François quelques jours après sa mort.

Photo représentant Mathieu Alterman Jewpop

Mathieu Alterman

“Mais pourquoi un jeune ashkénaze comme toi s’intéresse à nous ?”

J. : À les voir ensemble, une chose est frappante, ce sont tous des « gueules », chacun dans leur genre… Une sorte de « Clan des Sépharades ». Comment ont-ils réagi au projet, et surtout au fait d’être réunis dans le documentaire tous les 5, emblématiques de ce « clan » ?

M.A. : La phrase récurrente : « Mais pourquoi un jeune ashkénaze comme toi s’intéresse à nous ? » Au départ ils devaient être six, mais Charley Marouani nous a quitté brutalement. Ils étaient ravis car – et c’est une énigme pour moi – personne ne leur avait proposé un tel documentaire avant. Et ce sont des conteurs extraordinaires avec une véritable générosité. Ils ont ouvert leurs archives avec plaisir en nous laissant une liberté totale.

J. : Si l’humour et la dérision est l’un de leur dénominateur commun, c’est avant tout une réelle émotion qui transparaît dans les récits de leurs parcours hors du commun. Être un « magnifique », c’est selon toi ce mélange unique de talent, de sensibilité et d’humour ?

M.A. : Oui et surtout d’humilité au final. Ils n’avaient rien, ont fait fortune tout en révolutionnant la pop culture mais toujours en y prenant du plaisir, tout en travaillant beaucoup. Et en étant conscient de leur différence dans une France gaullienne somme toute assez conservatrice. Au fond, ils sont restés les petits garçons qui jouaient sur les plages d’Afrique du Nord.

Photo de groupe Les Magnifiques Jewpop

Yves Azéroual, Norbert Saada, Philippe Clair, Mathieu Alterman, Enrico Macias, Alexandre Amiel, Régis Talar, Philippe Dana

“Ce sont des kiffeurs, mais pas du tout auto-destructeurs”

J. : Il y a une anecdote hilarante sur Lino Ventura et sa passion pour la cuisine, racontée par Norbert Saada (qu’on ne dévoilera pas !). Le documentaire s’ouvre au mythique restaurant parisien La Boule rouge. Les « Magnifiques » sont forcément attachés aux traditions culinaires familiales ?

M.A. : C’est surtout une manière pour eux de toujours remettre les compteurs à zéro, de garder le lien avec l’enfance, ne jamais oublier. Ce sont des kiffeurs, certes, mais pas du tout auto-destructeurs. Ils n’ont jamais cédé aux drogues, alcools… et sont restés accros à la cuisine.

J. : As-tu une affection particulière pour l’un d’eux ?

M.A. : Je les aime tous car ils ont su chacun développer leur univers singulier pour ensuite le faire partager, tout en restant très accessible pour les autres. Robert Castel est le pionnier, s’il n’avait pas eu de succès avec sa première pièce, alors l’humour pied-noir n’aurait jamais été reconnu. Avant le tournage, les seuls que je connaissais personnellement étaient Régis Talar et Norbert Saada, qui étaient d’ailleurs à l’école ensemble en Tunisie.

J. : Dans 50 ans, qui seraient selon toi ces « Magnifiques » ?

M.A. : Il n’y en aura plus pour la simple raison que l’impact du cinéma ou de la musique n’est plus aussi important. Régis Talar est à l’origine de « My Way », c’est pas rien ! Norbert Saada produisait Delon, Audiard et Leone ! Enrico a chanté pour le Président Sadate, Robert Castel est l’ovni le plus populaire des Trente glorieuses et Philippe Clair a réalisé 16 longs métrages sans l’aide des critiques.

“C’est une histoire d’hommes qui n’ont pas une once de machisme en eux”

J. : Si tu avais pensé à une version ashkénaze des « Magnifiques », qui aurait bien pu y figurer ?

M.A. : On se serait moins marré à cause de leur histoire, mais surtout il reste peu de survivants. J’aurais aimé avoir Marcel Dalio, Claude Berri, Serge Gainsbourg, Charles Denner, Barbara. On aurait parlé de gastronomie grise, de froid, de familles disparues et d’art. Et surtout de comment oublier sans jamais oublier.

J. : Hormis Lucette Sahuquet, épouse de Robert Castel, il n’est pas fait mention des femmes et de leur influence dans ces portraits. C’est une histoire d’hommes, les « Magnifiques » ?

M.A. : C’est une histoire d’hommes qui n’ont pas une once de machisme en eux et demeurent très pudiques. Le salon d’Enrico est truffé de photos avec sa femme disparue, je n’ai pas voulu ouvrir une cicatrice inguérissable. Je pense que Norbert Saada a été un grand playboy, il a inventé le look hipster en 1975 !

J. :  Tu as collaboré à l’excellent mook Schnock, la « revue des vieux de 27 à 87 ans », ultra branchée 70s. Tu as la nostalgie de ces années ? C’était mieux avant ?

M.A. : J’ai été un fier Schnockien du numéro 5 au numéro 23, j’avais développé le concept en radio sur Oüi FM avec « Bleu Blanc Schnock », mais je ne crois pas que c’était mieux avant. C’est juste que puisque les canaux de communication étaient moins nombreux, on avait forcément plus de souvenirs en commun. En 1983 on écoute tous « Let’s Dance » et « Thriller », on va tous voir « Octopussy », « Le retour du Jedi » et « Papy fait de la résistance ». Je crois que c’est ce qui manque aujourd’hui, ce lien.

Entretien réalisé par Alain Granat

« Les Magnifiques » sera projeté le 7 mars à New-York dans le cadre du NY Sephardi Film Festival

Enrico Macias se produit à l’Olympia avec son groupe Al Orchestra le 9 février (20h30) et le 10 février (17h)

 
© photos : DR
Article publié le 8 février 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

2 Comments

  1. Super idee ds ces années moroses de se rappeler la bonhomie de ces heros sepharades exuberants simples et grandioses…
    Merci Mathieu et merci Yves je suis tres pressee de voir votre film

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