Mattias B., récit d'un réserviste de Tsahal pendant "Pilier de défense"

15 minutes de lecture

 
Mattias est étudiant au Technion de Haïfa. Il a 25 ans, a fait son alyah de France voilà 4 ans, est réserviste de Tsahal et nous a transmis son témoignage, après avoir été rappelé pour l’éventuelle opération terrestre à Gaza.
 
Ce que l’on imaginait ne plus jamais arriver a eu lieu. La première alerte aux missiles sur Tel-Aviv depuis 1991. Je devais m’y rendre pour rejoindre ma copine le soir où ont retentit les sirènes. J’essaie de l’appeler mais le réseau est tellement saturé que ça ne marche pas. Le pays entier, sous le choc, essaie de contacter ses proches à Tel-Aviv pour s’assurer qu’ils vont bien. Finalement je parviens à l’avoir, elle va bien et a pu se mettre à l’abri avec des amis et des passants dans la cage d’escalier la plus proche. Comme tout le monde d’ailleurs. Personne n’est blessé, mais l’endroit exact où le missile est tombé est tenu secret. Pendant ce temps l’armée israélienne se lance dans l’opération Amud AnanColonne de Fumée ou Pilier de Défense, faisant référence à la colonne de fumée qui protégeait les Juifs dans le désert. Attaque massive des infrastructures du Hamas, de leurs dépôts de missiles, des tunnels de ravitaillement d’armes… Israël commence à rappeler ses miluim – les réservistes – seize mille puis trente, dit-on dans les journaux.
 
J’arrive à Tel-Aviv peu après, je retrouve mon amie. Je la trouve tendue mais très forte, j’aime son énergie. La nuit, on peine à s’endormir. Chaque bruit à l’extérieur nous inquiète, on a du mal à se tranquilliser. Le lendemain, une nouvelle alarme retentit dans la journée, on est surpris dans la rue, rentrant d’un petit déjeuner en terrasse. On court vers la cage d’escalier la plus proche, elle est ouverte. On s’assoit et on attend, nous ne sommes pas les seuls. Le soir, dîner de chabbat chez des Français. Le thème de la conversation est dicté par l’ambiance, on regarde les infos, des missiles tombent dans tout le pays. Même à Jérusalem ! Soixante quinze mille réservistes seront appelés dans la soirée pour se préparer à une éventuelle offensive terrestre. Moi, c’est au milieu de la nuit, à quatre heures du matin, que je reçois le coup de fil.
 
Tsav Shmone, c’est ainsi qu’on appelle la convocation des réservistes en cas d’urgence. Comme des dizaines de milliers d’israéliens, on doit se rendre dans une base dans le Sud le plus vite possible, abandonnant familles, conjoints, enfants, études, travail, mettant la vie entre parenthèses afin de répondre à l’appel et être prêts à défendre notre pays. Je raccroche le téléphone, encore à moitié endormi, confus, ne réalisant pas encore ce qui est en train de m’arriver. Je me recouche un instant aux côtés de mon amour, son étreinte me paraît si précieuse en ce moment qui me semble tellement irréel. Puis je rassemble mes affaires, un dernier baiser, ses yeux sont humides, mon cœur  bat trop vite, mes mains tremblent, il me faut la laisser, malgré les missiles qui tombent près d’elle, malgré notre désir d’être ensemble dans cette période difficile. Je suis parti.
 
 J’arrive à la base en fin d’après-midi. J’ai amené avec moi mes chaussures de l’armée, chaussettes, uniforme, brosse à dents et du papier toilette. Le bus qui m’a amené  est rempli d’étudiants, de pères de famille, de gens de tous les milieux sociaux et venant d’endroits très divers. Mais aujourd’hui, nous sommes surtout des soldats. Le temps de trouver mon unité, on m’envoie immédiatement chercher mon équipement militaire. Il faut tout vérifier avant de l’emporter. Nous sommes logés sous un hangar – préau. Les conditions sont précaires, il n’y a pas assez de place dans la base pour loger tout le monde. On dort à même le sol en béton et il n’y a ni douches ni toilettes, mais personne ne s’en plaint évidemment.
 
Je retrouve vite mon équipe, avec qui je m’étais entraîné lors de mon premier exercice de réserviste en juin dernier. Je suis l’un des derniers arrivés. On s’affaire à notre matériel, il faut que tout soit prêt, bien réglé, remplir les cartouches, nettoyer les armes. L’ambiance est pesante, personne n’est heureux d’être ici, loin de sa maison. Pour autant, personne ne regrette d’être venu, la raison de notre présence est très claire pour chacun d’entre nous, on ne rentrera pas tant que la paix ne sera pas revenue dans notre pays. La consigne est de toujours garder son gilet de protection et son casque à portée de main, des obus de mortiers sont tombés non loin de la base la veille. Mais à vrai dire, personne n’y prête vraiment d’attention.
 
Malgré l’absence de télévision, on se tient au courant par téléphone. Moi, j’appelle ma copine à Tel-Aviv et ma famille en France. Tout le monde est très inquiet, mais personne ne me demande de renoncer à mes choix. Leur compréhension, et même leur soutien, me donnent beaucoup de force. Des centaines de missiles sont tombés dans l’ensemble du pays, y compris quelques-uns autour de Tel-Aviv. On parle beaucoup d’une offensive terrestre d’Israël à Gaza, mais autour de moi les gens aspirent à une solution diplomatique. Des négociations ont commencé avec l’Egypte pour médiateur.
 
Dès le lendemain matin, on commence les entraînements militaires. Notre mission est d’être prêts à rentrer dans Gaza en cas d’offensive terrestre. Pour cela, il faut tout préparer du mieux possible, l’équipement, les armes, le travail en équipe. Les jours passent, sans donner l’espoir d’un dénouement rapide de la situation. Personne ne peut encore dire si Israël va accepter un cessez-le-feu, ou décider d’envoyer ses troupes dans Gaza afin de mettre un terme à cette pluie de missiles qui tombe sur le pays. Mais chacun donne son avis, argumente, change d’opinion, revient sur son idée de départ. Ici, il y a tous les points de vues possible. Juifs religieux, athée, soldats d’origine druze, russe, éthiopiens, venant du Sud, du centre, du Nord, ceux pour l’entrée à Gaza, ceux qui la craignent, ceux qui pensent que ce serait une catastrophe pour le pays, d’autres pour qui c’est malheureusement la seule solution, certains parlent de punition du Hamas, d’autres de génocide, pour certains c’est nous les coupables, pour d’autres nous sommes les victimes. Pourtant, parmi ces soldats réservistes, on ressent chez tous un amour très fort pour la terre d’Israël et un désir de la protéger quelle que soit la situation. Et quel que soit leurs avis, une fois l’ordre donné, tous obéiront sans discuter.
 
Plus on est prêts, plus l’éventualité d’une entrée dans Gaza devient réaliste. Chaque nuit, en se couchant, on se demande si l’on sera réveillés en urgence avec pour ordre de rassembler notre équipement et d’attendre le départ. L’attente est longue, cela fait moins d’une semaine que nous sommes ici, mais on dirait déjà des mois. Je repense à ma copine et je prie pour que quoi qu’il arrive, je puisse la retrouver. C’est lors de la préparation des nagmashim – véhicules blindés de transport de troupes – que la sirène d’alarme retentit pour la première fois dans la base. Un missile se dirige dans notre direction et va tomber dans les environs dans quelques secondes. J’enfile mon casque et je me terre dans mon véhicule, mais personne n’est vraiment inquiet, tout le monde a déjà été sujet à ces sirènes, et ces missiles peu précis ne touchent que rarement leur cible.
 
Mais tout au long de la journée, alors que nous nous entraînons en dehors de la base, plusieurs missiles viennent fendre le ciel au-dessus de nos têtes. Une fois en particulier, nous entendons un nombre élevé d’explosions dans les alentours, suivi d’une cacophonie d’ambulances. On apprendra plus tard qu’il y a eu plusieurs blessés et qu’au moins une personne a péri suite à l’attaque. Inutile de dire que plus personne ne se balade sans son équipement de protection à portée de main. Au matin, on retourne à la base pour les derniers préparatifs. Derniers checkups du matériel, on trie les affaires personnelles, ce qu’on emporte avec nous et ce dont on n’aura pas besoin. C’est la finition, après cela nous serons à même de rejoindre nos troupes respectives et notre affectation précise. Pourtant, l’incertitude est toujours aussi totale. Les négociations ont toujours lieu et personne ne peut dire dans quel sens la balance va peser.
 
Un matin, on nous réunit tous pour une réunion avec un officier très haut placé. Quel est le verdict ? On n’en a toujours aucune idée. La veille au soir il était question de cessez-le-feu dans les journaux, mais tant qu’on est là, toute option est encore possible. Et si l’ordre est de rentrer dans Gaza, nous sommes prêts et même désireux, après ce que le pays a enduré. Mais cette fois, c’est confirmé, on va rentrer chez nous le lendemain, Israël est arrivé à un accord avec son ennemi terroriste, le Hamas. Les réservistes commencent à être démobilisés. La plupart des gens sont déçus, mais l’on espère que le gouvernement a pris la meilleure décision possible pour le pays. Et effectivement, le lendemain nous rendons tout notre équipement. On récupère nos affaires personnelles, nous sortons de la base, on dit au revoir à nos amis et on espère que la prochaine fois que l’on se retrouvera, ce sera dans le plus longtemps possible. Entretemps, nous avons appris le décès d’un des officiers qui fut blessé par le missile tombé si près de nous. Certains se rendront directement à son enterrement.
 
J’ai retrouvé mon amoureuse et mon studio, ma famille est rassurée, demain je retourne en cours. C’était il y a une semaine que le téléphone a sonné et que j’ai été mobilisé. La page est tournée.
 
Mattias B.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

S'abonner à la jewsletter

Jewpop a besoin de vous !

Les mendiants de l'humour

#FaisPasTonJuif