Une juive dans l’espace

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Oui, je sais ce que tu te dis « tiens, elle est encore en vie SefWoman… ». Et oui, après de longues semaines de silence, me revoici pour ton plus grand plaisir… ou pas. Dans la torpeur de l’été, je découvre que Sheyna Gifford, 36 ans, va rejoindre une équipe qui va vivre dans un habitat financé par la NASA pour une mission de simulation d’un voyage vers Mars. Pendant 365 jours, cette juive américaine et 5 autres membres de l’équipage seront isolés à l’intérieur d’un dôme de 11 mètres de diamètre perché sur une colline à 2 484 mètres au-dessus du niveau de la mer sur la grande île d’Hawaï. À mon grand étonnement, très peu de mes coreligionnaires sont au courant de l’information. Vendredi soir dernier, j’ai donc décidé d’y remédier.
 
Quand la discussion a commencé à s’éterniser sur Tel-Aviv sur Seine et les tablettes de chocolat d’Arno Klarsfeld, je me suis lancée. « Vous connaissez Sheyna Gifford ? Elle va participer à une mission d’un an pour préparer la vie sur Mars ». Face à l’indifférence générale, je précise « elle est juive ». Là, comme tu t’en doutes, tout le monde a eu quelque chose à dire.
 
Mon père : Elle ne gagnera pas. Regarde Amir à The Voice…
Moi : C’est pas une téléréalité c’est une mission de la Nasa.
Betty : De toute façon, on sait très bien comment ça va finir. Au bout de 4 jours, elle va se taper le ménage, la bouffe, les lessives, le repassage…
Moi : La meuf est médecin, neuroscientifique, chercheur en astrophysique et journaliste. Elle travaille !
Betty : Tu dis ça parce que j’ai décidé d’arrêter de travailler pour élever mes enfants.
Moi : Mais pas du tout !
Betty : C’est un choix qui m’a coûté, sache-le.
Ma mère : Betty arrête ! T’as travaillé 3 mois dans ta vie. Au magasin de ton père. Ta dernière paye, c’était sous Mitterrand. Bon qui reveut de la viande ? Il en reste…
 
Là, Betty a décidé de quitter la table pour – comme à chaque saillie de ma mère – se refaire une beauté. Résultat : quand elle part de chez mes parents, elle ressemble à Kimera.
 
Patrick : C’est pas bon pour nous ça. Les Verts et Mélenchon vont appeler à manifester.
Moi : Quoi ?
Ma mère : Il a raison !
Patrick : L’Onu va condamner. Et Sdérot, Ashdod et Ashkelon vont se reprendre des roquettes.
Moi : Quoi ?
Ma mère : Il a raison !
Patrick : Nous les juifs de France, on va manifester devant l’ambassade d’Israël. Il va y avoir une contre-manifestation. Un peu de casse… Résultat, renforcement de la sécurité autour des synagogues. On va passer des fêtes dans l’angoisse.
Ma mère : Choukbara, il a raison ! Patrick, amri, il reste 6 bouts de viande, nevdek, je vais pas jeter quand même !
Moi : Mais sérieux, n’importe quoi…
 
C’est là que Maurice, ami de mon père de la syna, veuf et sans enfant, jamais convié mais très souvent présent, a décidé d’intervenir. Pour être à notre table, sa technique est simple : répéter tout le chemin qui sépare la synagogue de la maison « juste la boukha et je rentre » en réponse à une invitation jamais verbalisée.
 
Maurice : Ce qui est n’importe quoi, c’est de quitter sa famille pendant un an à quelques jours des fêtes. Moi, passer les fêtes seul, je trouve ça très triste.
Moi : Elle n’est pas mariée et elle n’ a pas d’enfant.
Ma mère : À 36 ans ? Mais comment c’est possible ? Ma mère, à son âge, elle avait 6 enfants et elle était déjà veuve.
Maurice : Et puis, ça veut dire qu’elle va pas pouvoir aider sa mère pour tout préparer. Moi, passer les fêtes seul, je trouve ça très triste.
Ma mère : Ça c’est rien à côté de ce qu’elle – me montrant du doigt – m’a fait, une année ! Madame est restée enfermée dans sa chambre tout septembre au prétexte de réviser.
Moi : J’avais le rattrapage maman !
Ma mère : C’est ça…
Maurice : Je trouve que la famille, c’est sacré ! Moi, passer les fêtes seul, je trouve ça très triste.
Patrick (la main devant la bouche) : Il a Alzheimer ou quoi ?
Mon père (sur le même ton) : Non, il va répéter ça jusqu’à ce que ta mère l’invite à Rosh Hashana.
Ma mère : Maurice, il reste de la viande. Donnez-moi votre assiette.
Moi : Maman, tous les shabbath, c’est la même histoire… On est 10 à tout casser et tu cuisines comme pour tous les migrants de Calais !
Warren : Maman, on peut accueillir une famille de réfugiés ?
Moi : Warren ! Quelle générosité, je suis fière de toi !
Betty : T’emballes pas. C’est juste pour faire une vidéo et booster sa chaîne youTube.
Warren : Allez maman steup. Une famille de réfugiés.
Maurice : Moi, je pense que la famille, c’est sacré !
Mon père : De toute façon, la France va les accueillir, les réfugiés. Elle connait leur situation. Elle n’a pas le choix. La vraie question, c’est comment tout ça va finir.
Maurice : La vraie question, c’est surtout quand on va les accueillir. Faudrait  pas trop tarder.
 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 

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© photos : DR
Article publié le 9 septembre 2015, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop

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