Photo d'un passeport allemand et d'un passeport anglais Jewpop

Redevenir Allemand : Achtung zigzags !

11 minutes de lecture

Dans un article précédent, nous avions évoqué la course d’obstacles que représentait la demande de re-naturalisation pour de nombreux Juifs allemands (et leurs descendants). Une re-naturalisation pourtant prévue en Allemagne par une loi depuis la fin de la guerre.

“De nombreux obstacles ont été mis sur le chemin des descendants nés d’une mère allemande avant 1953”

L’article 116§2 de cette loi, dite « fondamentale », permet à certains la « réintégration dans la nationalité allemande ». En voici la traduction : « Les anciens nationaux allemands déchus de leur nationalité entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 pour des raisons politiques ou religieuses, ainsi que leurs descendants, doivent être réintégrés à leur demande dans la nationalité allemande. Ils sont considérés comme n’ayant pas été déchus de leur nationalité s’ils ont fixé leur domicile en Allemagne après le 8 mai 1945 et s’ils n’ont pas exprimé une volonté contraire. »

Cela paraissait clair comme de l’eau de roche. Sauf que, on l’a vu, de nombreux obstacles ont été mis sur le chemin des descendants nés d’une mère allemande avant 1953. Ceux-ci avaient un recours : le StAG 14. Il ne s’agit pas là de l’abréviation du nom d’un camp de prisonniers, pas du tout. L’humour n’entre pas dans le sujet germanique dont nous parlons. L’article 14 du StAG (un décret qui s’ajoute à la loi) existait donc. Il permettait à ces enfants nés d’une mère allemande avant 1953 de faire leur demande de re-naturalisation, mais il comportait de nombreuses contraintes telles que :

Prouver sa filiation, bien sûr, à l’aide de documents ad-hoc

Prouver la date et les raisons du départ de son parent lors des années de National-Socialisme

Prouver une certaine connaissance de l’allemand (niveau A2 requis)

Prouver que l’on a les moyens de subvenir à ses besoins

Prouver que l’on est propriétaire de son logement

Payer une certaine somme d’argent

Fournir des lettres de recommandation

Etc…

Suite à la détermination d’un groupe anglais, et au travail acharné de son représentant, Felix Couchman, un avocat dévoué à cette cause, quelques avancées ont été obtenues. Un nouveau décret a été publié, pas plus tard que le 30 août dernier. Celui-ci semble améliorer la situation, car les enfants nés avant 1953 de mère allemande pourront à présent renouveler leur demande sans qu’il leur soit demandé de payer quoi que ce soit, ni de fournir aucun des documents mentionnés ci-dessus. La maîtrise, toujours requise, de l’allemand passera du niveau A2 au niveau A1.

Le ministre allemand de l’Intérieur Horst Seehofer a déclaré : « L’Allemagne doit reconnaître sa responsabilité historique envers les descendants allemands victimes des persécutions du National-Socialisme qui ont été privés de leur droit à la nationalité. Ceci s’applique tout particulièrement à ceux et celles dont les grands-parents ont été forcés de fuir à l’étranger. Les décrets publiés demain fourniront un règlement rapide et applicable immédiatement, de la demande de nationalité allemande de ces personnes. » 

Pages d'un passeport allemand 1953 Jewpop

“Ceux et celles qui sont nés d’une mère allemande après 1953 n’ont pas, eux, à prouver quoi que ce soit”

Formulé ainsi, cela semble idéal… Toutefois des injustices perdurent car, en vertu de la loi existante il n’en demeure pas moins que ceux et celles qui sont nés d’une mère allemande après 1953 n’ont pas, eux, à prouver quoi que ce soit, ni en particulier leur connaissance de la langue allemande ou celle des « règlements ou de l’ordre social allemand de base ». Du reste, un précédent existe, stipulant qu’il est illégal pour un demandeur (dans le cadre de l’article 116) d’être pénalisé pour manque de connaissance de l’allemand, celle-ci étant due à un départ forcé de son pays natal.

Même si progrès il y a, les personnes concernées estiment que celui-ci n’est pas suffisant. Ce décret ne couvre pas les demandes de certains types d’exclusion, par exemple celles des descendants de Juifs allemands qui vivent déjà (ou encore) en Allemagne, ni celles émanant des individus dont les ancêtres ont été empêchés d’acquérir la nationalité allemande pour des raisons raciales, politiques ou religieuses… Plusieurs catégories sont encore exclues de cette possibilité de re-naturalisation, tels les emblématiques descendants des Juifs allemands de Dantzig.

Malgré tous les efforts faits en Allemagne depuis des décennies pour honorer la mémoire des victimes du nazisme, le gouvernement allemand ne semble pas avoir pris la mesure de l’injustice historique qui affecte encore nombre de descendants des Juifs allemands victimes de ce même régime. Cette injustice ne peut être réparée que par un changement constitutionnel dont la valeur symbolique serait bien plus forte que celle d’un simple décret, en plus d’être applicable dans tous les Landers du pays.

Affiche de propagande SS en français Jewpop

Affiche de propagande de la Waffen SS

“La célérité exceptionnelle mise par l’Allemagne à naturaliser (et non pas re-naturaliser) dans les années 50 plusieurs milliers d’anciens SS belges, français et néerlandais”

Et pour prouver les zigzags annoncés, on pourrait mentionner la trouvaille récente de membres du groupe anglais : les preuves écrites de la célérité exceptionnelle mise par l’Allemagne à naturaliser (non pas re-naturaliser) dans les années 50 un nombre important (plusieurs milliers) d’anciens SS belges, français et néerlandais, en vue de leur éviter des poursuites de leurs pays respectifs pour leur collaboration active avec l’ennemi. Dans le même temps, les demandes des Juifs étaient traitées, sur instruction des mêmes, à un rythme ralenti…

Si l’on avait mauvais esprit, on comparerait aussi cette attitude à celle adoptée dans les années noires par les nazis, lorsqu’ils plaçaient une exigence administrative après une autre sur le chemin quotidien des Juifs des ghettos. Un coup le document nécessaire à la survie devait être bleu, le lendemain vert ; tamponné comme-ci, ou comme ça ; valide un jour, annulé le suivant. Aujourd’hui il serait si simple de JUSTE rédiger une loi juste, en associant à la réflexion qui l’accompagne le groupe concerné, qui en maîtrise le mieux les subtilités. Cela serait véritablement à l’honneur de l’Allemagne.

Rêvons un peu. Et rêvons surtout que la solidarité jouera en France aussi. Le monde anglophone (Grande-Bretagne, USA, Australie, Canada, Nouvelle Zélande) se mobilise pour aider nos amis juifs d’origine allemande à faire valoir leurs droits fondamentaux. Les Français, si attachés à la notion de justice pour tous, se joindront-ils enfin à la défense de cette cause, pour en éradiquer les zigzags ? Warum nicht ?

Cathie Fidler

Le site du groupe anglais qui mène ce combat :

https://www.article116exclusionsgroup.org/about

Pour compléter ces informations, lire ici un article sur les lois régissant l’obtention de la nationalité allemande :

https://journals.openedition.org/etudesrurales/7973

Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch et d’un ouvrage consacré à son père, le peintre et céramiste Eugène Fidler « Eugène Fidler, Terres mêlées » (Les Éditions Ovadia). Son nouveau roman, Creuse la terre, creuse le temps (Éditions Ovadia) est à commander sur le site de la Fnac.

Gratitude, le blog de Cathie Fidler
© photos : DR
Article publié le 5 septembre 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

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