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Robert Castel, la classe algéroise

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Robert Castel, artiste à l’immense palette, acteur, humoriste, auteur et musicien, est décédé samedi à l’âge de 87 ans. De son vrai nom Robert Moyal, celui que l’on considère comme le père de l’humour « pied-noir » avec son ami Philippe Clair, mort la semaine dernière, restera à jamais l’une des figures emblématiques de la “nostalgérie”, celle des rapatriés pour un monde à jamais disparu.

Robert castel Kaouito Jewpop

Né le 21 mai 1933 à Bab El-Oued, Robert Moyal est le fils d’Élie Moyal, plus connu sous son nom d’artiste, Lili Labassi, maître du chaâbi, musique aux influences arabo-andalouses et aux rythmes berbères emblématiques de ce quartier populaire d’Alger. Robert apprend le tar (tambourin), la guitare, le violon, et accompagnera son père dans ses concerts. À l’époque, musiciens juifs et musulmans jouent ensemble en complète harmonie, se produisant tant dans les bar-mitsva que lors des mariages musulmans. La guerre d’Algérie brisera cette “union sacrée” sur fond de chaâbi et de maalouf, le versant constantinois de la musique classique et populaire qui unit alors tout un peuple, malgré les différences religieuses.

Robert fera des études de lettres, deviendra instituteur comme son futur ami Enrico Macias, puis critique musical. En 1957, il intègre l’équivalent algérois du Conservatoire de Paris, le Centre régional d’art dramatique d’Alger, où il rencontre deux jeunes comédiennes, Lucette Sahuquet et Marthe Villalonga, avec qui il montera La Famille Hernandez, une création de Geneviève Baïlac, la même année. C’est cette suite de sketches ancrés dans la vie quotidienne algéroise de ceux qu’on nommera “pieds-noirs”, qui fera le succès de Robert, devenu Castel, à son arrivée à Paris en 1962, en compagnie de tant de rapatriés d’Algérie.

La Famille Hernandez, film de Geneviève Baïlac (1965) adapté de la pièce éponyme

Alors que la métropole reçoit avec hostilité ces Français, tant à cause de leur différence, de leur accent que de leur condition de réfugiés, Robert Castel et ses complices sur scène exorcisent leur exil dramatique par le rire, une tradition de l’humour juif que s’approprient avec dérision et talent Lucette Sahuquet, qu’il épousera, et Marthe Villalonga, toutes deux de confession catholique, cette dernière incarnant plus tard l’épitomé de la mère juive sépharade dans Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert. La Famille Hernandez et Adieu mon pays d’Enrico Macias, seront les deux versants artistiques de cet exil, qui toucheront de plein cœur nombre de Français de métropole.

Pochette de sique Robert Castel Lucette Sahuquet jewpop

Dans ses mémoires, Je pose soixante-quinze, mais je retiens tout, publiées en 2008, il évoquait ce qu’il nommait pudiquement des “cicatrisations tardives”, évoquant l’antisémitisme qui frappa sa famille sous le régime pétainiste, lorsqu’il fut interdit d’école et que les disques de Lili Labassi furent censurés parce que son créateur était juif, par un directeur de radio musulman jaloux du succès de son père. Il écrira :  Ce sont mes souvenirs que je raconte et c’est ma vie. Pas celle de Céline, ni celle du maréchal Pétain. De plus, ceux qui sont allés en villégiature à Auschwitz, à Buchenwald, à Mauthausen et en d’autres lieux en pension complète, juifs et non juifs, qui ont fermé leur gueule parce qu’ils ne sont pas revenus, ceux qui sont revenus avec un numéro tatoué sur leur avant-bras, et qui ont survécu sans crier au martyre, ceux-là m’imposent un minimum de décence et des leçons de bouclage de gueule, en ce cas précis de malheur. Par contre, je suis très à l’aise pour vous narrer comment à l’Olympia, en 1962, pendant le spectacle de Gilbert Bécaud, le public nous a insultés, ma femme Lucette Sahuquet et moi, en nous traitant de « sales pieds-noirs» et en nous invitant à « retourner dans notre pays ». Nous étions sur scène. On n’oublie pas une hospitalité pareille. Je ne savais pas que la France n’était pas mon pays ! Et Gilbert Bécaud, qui assistait en coulisses à la corrida, nous consolait à la fin, avec Bruno Coquatrix, lequel nous disait : « Faites les rire, faites les rire, vous allez gagner. » Vous ne pouvez pas savoir comme c’est grisant d’être sur scène, d’interpréter des sketchs comiques et d’être injurié. Pas parce que vous êtes mauvais (ça, à la rigueur …. ), mais simplement parce que vous êtes pied-noir. C’était le bon vieux temps ! Voici la nostalgie : le temps « d’avant » est toujours bon.

Le duo Castel-Sahuquet assurera par la suite les belles heures de l’ORTF et de l’Olympia, où le couple fera rien moins que les premières parties de Frank Sinatra et Marlene Dietrich, tandis que Robert Castel et Enrico Macias se régaleront à jouer ensemble les histoires de Kaouito, le “Toto pied-noir”, pour le plus grand bonheur des téléspectateurs français des années 70 dans les numéro un des Carpentier.

Côté cinéma, il sera abonné aux seconds rôles, tant côté comique que dramatique, aux côtés d’Edith Piaf dans Les Amants de demain de Marcel Blistène, de Pierre Richard dans Le Grand Blond avec une chaussure noire d’Yves Robert, d’Isabelle Huppert dans Dupont Lajoie d’Yves Boisset, tournant dans plus d’une trentaine de films jusqu’au début des années 2000, et retournant à Alger en 1982 pour faire une brève apparition, avec son épouse Lucette Sahuquet, dans le film Hassan Taxi de Mohamed Slim Riad.

Robert Castel et Edith Piaf Jewpop

Robert Castel et Edith Piaf

2007 sera l’année de son retour sur la scène musicale, revenant à ses premières amours au sein du “Buena Vista Social Club algérien”, El Gusto. Ce grand orchestre renouera avec la grande tradition du chaâbi, présentant à Paris sur la scène du Grand Rex, lors d’un concert historique, les meilleurs musiciens juifs et musulmans algériens du genre. Robert Castel y brillera, au chant et au violon, rendant hommage aux titres mythiques de son père Lili Labassi, poursuivant avec ses compagnons une tournée internationale qui le mènera jusqu’aux USA.

Il remontera sur scène en 2013 pour présenter son dernier one-man-show, Nostalgérie, avant de figurer en 2019 parmi les 5 Magnifiques dans le documentaire que Mathieu Alterman et Yves Azeroual ont consacré à Enrico Macias, Régis Talar, Norbert Saada, Philippe Clair et lui-même.

Robert Castel, c’était la classe algéroise.

Alain Granat

© photos : DR

Article publié le 5 décembre 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
 

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