Le MAHJ présente actuellement et jusqu’au 26 août la première rétrospective française consacrée au photographe et cinéaste Helmar Leski. Sans aucun doute l’événement de l’année pour tous les amateurs de photographie, mais également pour tous ceux qui s’intéressent à l’iconographie de la Palestine mandataire, qu’il mit en lumière avec une rare intensité.
Né en 1871 à Strasbourg dans une famille juive originaire de Pologne, Israel Shmuklerski – de son vrai nom – émigre aux États-Unis à l’âge de 22 ans. Il se passionne alors pour le théâtre et est engagé dans une troupe à New York trois années plus tard. C’est là qu’il prend comme nom d’artiste Helmar Lerski, sans doute pour éviter de conserver un patronyme pouvant prêter à confusion (en yiddish, « shmuklerski » pouvant s’entendre comme « ce con de Lerski »). Le choix de son nouveau prénom, Helmar, variante teutonne du prénom nordique Hajlmar, manifeste sans doute le goût de l’artiste pour la rareté de la lumière, un bien si précieux dans les contrées du soleil de minuit.
L’exposition que lui consacre le MAHJ permet de découvrir son travail comme directeur de la photographie dans l’univers du cinéma expressionniste allemand, de ses collaborations avec Robert Reinert et Paul Léni jusqu’aux trucages qu’il réalisa pour Metropolis de Fritz Lang. En Palestine, il fera figure de précurseur du cinéma israélien, réalisant plusieurs films de propagande dans l’esprit des constructivistes russes. Tous ces aspects de son parcours, du théâtre au cinéma, permettent de mieux comprendre son art et sa conception du portrait, qui constitue l’essentiel de son œuvre photographique : pour Lerski, au fond, la lumière est un décor et ses modèles font figure d’acteurs, qu’il met en scène dans des cadrages serrés, soulignant avec force un grain de peau, l’angle d’une pommette, le creux d’une ride…
Emblématique, sa série Métamorphoses par la lumière réalisée à Tel-Aviv en 1936, composée de 137 portraits d’un même homme, jeune architecte suisse au visage constellé de taches de rousseur, est époustouflante et mérite à elle seule la visite !
En Palestine, où il s’installe en 1931, Lerski n’aide pas seulement le mouvement sioniste dans son œuvre de propagande en réalisant des photos de pionniers juifs ou de soldats de la Brigade juive qui combattent aux côtés des Anglais dès 1940. Il contribue, avec une splendide série de portraits d’Arabes et de Juifs, à l’idée d’une terre où deux peuples pourraient cohabiter en paix. Un idéal sioniste qu’Helmar Lerski ne verra pas se concrétiser, Just an illusion que ce maître de l’illusion n’avait pas imaginé… Helmar, à bout, quittera la Palestine un mois avant la création de l’État d’Israël.
Grâce au MAHJ, Lerski sort enfin de l’ombre avec cette première et extraordinaire rétrospective. Hasard de l’alphabet, un autre photographe juif aux initiales identiques, Herman Leonard, a immortalisé les plus grands jazzmen devant ses chambres et éclairages tout aussi remarquables que ceux de Lerski, et n’a encore jamais été exposé en France. Bientôt au MAHJ ?
Alain Granat
© photos : Helmar Lerski / MAHJ / DR
Article publié le 20 juin 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop