Un soir à Sanary, de Michèle Kahn

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Michèle Kahn écrit comme certaines étoiles dansent. Avec élégance et légèreté, mais aussi avec une technique d’acier. La lecture de ses récits procure une satisfaction identique à celle que l’on ressent devant un travail achevé : on devine les heures passées à la barre – enfin, à sa table –, le souci de chaque détail, de chaque envolée, de chaque pause, mais on n’y pense guère, à mesure que se déroule le fil de son ballet littéraire.
 
Son dernier livre, Un soir à Sanary, est un pas de deux solitaire. Le héros, Max Hoka, un critique d’art allemand devenu indésirable dans son pays, écrit à une jeune protégée, peintre en devenir, qui réside encore dans le Var, à Sanary-sur-Mer, où lui-même a vécu. Le surnom de Gryllon que Max lui donne est une allusion explicitée à Hieronymus Bosch, dont les créatures fantastiques inspirèrent tant de peintres. Quant à Sanary, ce petit port de pêche fut surnommé « Montparnasse-sur-Mer », si nombreux furent les artistes qui s’y installèrent, avant et pendant la guerre.
 
Rédigée entre le 8 mai 1945 et le 8 mai 1946, cette correspondance à sens unique sert de prétexte à retracer l’histoire des épreuves douloureuses subies par ces intellectuels et artistes allemands réfugiés en France – à Sanary, précisément –, à mesure que se resserrait autour d’eux l’étau nazi. Grâce à ce subterfuge littéraire, Michèle Kahn nous déroule une belle histoire des arts, tout en mettant en lumière les parcours personnels de nombreux artistes et intellectuels, juifs et non-juifs. Sont évoqués (entre autres) les écrivains Lion Feuchtwanger et Thomas Mann, ou les peintres Max Ernst et Moïse Kisling, dont un tableau coloré orne la première de couverture de ce roman.
 

ThomasMann

 
Nombre d’entre ces « étrangers indésirables » se retrouvèrent enfermés dans les camps du sud de la France, Les Milles, ou Saint-Nicolas, tandis que les femmes, elles, furent détenues au camp de Gurs, dans les Pyrénées Orientales. Les passages qui décrivent ces lieux infects, solidement documentés, sont criants de vérité. En guise de décor, mais central à son désir d’honorer les Justes, Michèle Kahn a choisi le village montagnard de Beuil, dans les Alpes-Maritimes, où le héros et son épouse, Rosa, se sont repliés après avoir fui Nice. L’auteure de La clandestine du voyage de Bougainville ne résiste pas au plaisir d’en décrire la flore montagnarde, et ses parfums, autant que la faune humaine qui s’y installa, un temps.
 

Beuil

 
Ce village a, de fait, servi de refuge à une centaine de Juifs entre 1943 et 1944. Aucune arrestation n’y a eu lieu, grâce à une vigilance identique à celle qui fut déployée par les habitants d’un autre village de la région, Saint-Léger. Signaux optiques lancés à l’aide de draps étendus de telle ou telle façon, silence collectif, entre-aide sous forme de troc, enfants cachés dans la forêt à la moindre alerte… autant d’actes modestes d’héroïsme ordinaire que Michèle Kahn a eu à cœur de rappeler. La petite Mimi qui y fut sauvée, ainsi que ses parents, n’a pas oublié : elle rend ici un bel hommage à ces inconnus, autant qu’aux artistes pourchassés.


Nul doute que les lecteurs d’aujourd’hui prendront grand plaisir à découvrir les variations originales de ce roman et que, tout comme au spectacle, il leur prendra l’envie d’applaudir très fort la ballerine en le refermant.
 
Cathie Fidler
Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… et du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch
Gratitude, le blog de Cathie Fidler
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© visuel : Éditions Le Passage

 
Article publié le 14 avril 2016. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2016 Jewpop
 

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