La sorcellerie est-elle autorisée chez les Juifs ? Absolument pas. Hors de question. Sauf que si, parfois. Mais est-ce que magiquer c’est sorceller ? Et talismaner ou pèlerinager, c’est permis ? Petite expédition chez les sorciers, les kabbalistes, les rabbins miraculeux, les magiciens purs, les impurs… Et les arnaqueurs…
Better call Saul ?
S’il y a un point sur lequel la Torah (l’Ancien Testament) est tout à fait claire, c’est la condamnation de la sorcellerie. Ce qu’avec sa pédagogie coutumière, elle démontre en prenant l’exemple de Saul, le premier roi des Hébreux. À la veille d’une importante bataille, celui-ci viole les interdits : il se rend chez une sorcière pour savoir qui va vaincre. À sa demande, la magicienne invoque l’ombre du prophète Samuel, qui a longtemps été le conseiller du roi. Samuel apparaît et on peut constater que s’il avait déjà un sale caractère de son vivant, la mort ne l’a guère adouci. Il engueule Saul comme du pus pour l’avoir dérangé, lui apprend dans la foulée qu’il va perdre la bataille et qu’en plus, il va y mourir ainsi que ses fils. Et il en fut ainsi.
Saul et la sorcière d’Endor, de Paul Gustave Doré (1866)
Donc, la sorcellerie est totalement, complètement et autres synonymes « d’absolument » interdite : « Tu ne souffriras pas que vive la sorcière » (Exode 22 : 1-7). Avis aux Harry Potterstein d’aujourd’hui et de demain : tu sorcelles, t’es mort ! Sauf que dans la religion juive, à côté de la Torah, il y a le Talmud qui est (presque) aussi important. Il se compose de commentaires, de discussions et d’opinions des plus érudits des Docteurs de la Loi sur différents point de l’Ancien Testament. Question sorcellerie, à part le grand Maïmonide (XIIème siècle) qui considère que l’ensemble est un tas de foutaises, ça discute sauvage entre eux pour conclure qu’il existe une sorcellerie « pure ». Mais elle ne peut être pratiquée que par les Géants de la foi et seulement pour aider le peuple juif, Moïse et les dix plaies d’Égypte, genre.
D’autre part, est interdite et condamnée la sorcellerie « impure », exercée par des « illusionnistes » agissant dans leur intérêt personnel. De toutes façons, au fil des siècles, le judaïsme s’est beaucoup calmé sur le sujet. Déjà, l’ère des prophètes est close : « Du jour où le temple a été détruit, le don de prophétie a été enlevé aux prophètes pour être donné aux fous et aux enfants » (Talmud Baba Batra 12b). Ensuite, il y eut un glissement sémantique : on cessa de parler de « sorcellerie » pour utiliser «magie ». C’est peut être un détail pour vous mais pour les Juifs croyants, ça voulait dire beaucoup. Enfin, faute sans doute de Sages digne de ce nom, les grands miracles se firent de plus en plus rares.
L’homme superstitieux est en majorité une femme
Mais une sorte de « petite magie » continua d’exister. Normal : un religieux est, par définition, persuadé de l’existence d’un Être supérieur, omniscient et omnipotent. Qui croit en un bœuf, croit en un œuf, pourrait-on dire, si on s’emmêlait dans les proverbes populaires. C’est aussi une question de respect : on ne va pas déranger l’Éternel pour un problème de diarrhée persistante non plus. Et donc on s’adresse à des rabbins magiques pour régler ces problèmes mineurs. D’autant que joue peu ou prou l’influence des sociétés dans lesquelles les Juifs vivent. Les catholiques possèdent pas moins de 6.000 saints dont beaucoup ont une « spécialité ». Ainsi de Saint Antoine pour récupérer les objets perdus. Toujours utile pour retrouver ses clés de voiture le matin.
Mais ce sont surtout les Juifs d’Afrique du Nord qui ont été marqués par la civilisation dans laquelle ils vivaient. Les arabo-musulmans sont convaincus d’être entourés par une foultitude de créatures magiques, les djinns » dont ils se préservent grâce à des hommes « proches de Dieu par leur perfection : les « walis » ou « marabouts ». Avantage non négligeable : ceux-ci sont aussi protecteurs morts que vivants. La démarche a donc été vite reprise par les Juifs. Notons en passant que, ce faisant, nos amis séfarades ont pratiqué depuis des siècles l’inclusion sans le savoir.
Car l’homme superstitieux juif était en majorité composé de femmes. Là encore, rien de plus normal : celles-ci ne connaissaient pas l’hébreu, n’étudiaient pas les textes sacrés et allaient assez peu à la synagogue. Ne leur restait donc que la protection de la famille et la quête de fertilité le plus souvent obtenues par des pèlerinages. La coutume a longtemps été répandue : au XIXème siècle, on comptait pas moins de 652 cultes de « saints juifs » pour le seul Maroc. Et, aujourd’hui encore, se déroulent en Tunisie au moins deux pèlerinages importants : le premier sur la tombe du sage Yossef El Maarabi, à El Hamma près de Gadès (de nos jours, il se tient aussi à Sarcelles, au nord de Paris, où résident nombre de «Tunes »).
Plus renommé, celui de la synagogue de la Ghriba sur l’île de Djerba. Lequel a deux particularités : les musulmans y participent aussi et l’on y rend hommage à une femme, la « Ghriba » (la « solitaire » ou « l’étrangère » en arabe). Autre cas toujours d’actualité, le voyage vers la sépulture du rabbin Israël Abouhatsera (dit « Baba Salé ») qui a quitté le Maroc dans les années 1950 pour la ville israélienne de Netivot. Un moment festif durant lequel, entre deux prières, on s’amuse et on dépose nourritures et boissons sur la tombe celui qui apporte la « baraka » (« bonheur », « réussite »).
Autres coutumes reprises des musulmans, toujours par des femmes juives, les amulettes qui protègent de la maladie, apportent amour, fertilité… La plus utilisée est la célèbre « main de Fatma » (en fait, la « main de Fatima », la fille préférée du prophète Mahomet), hyper efficace contre le mauvais œil. Les Juif(ve)s du coin l’ont « récupérée » en y ajoutant le texte d’une prière juive ou une étoile de David et la renommant « main de Myriam », le prénom de la sœur de Moïse et Aaron. Un mot à ce sujet à nos lecteurs musulmans : ce n’est certes pas bien de piquer un talisman à une autre religion. Mais quand on considère tout ce que l’islam a « emprunté » au judaïsme, il n’y a pas de quoi en faire un fromage non plus. D’ailleurs, les chrétiens du coin en ont fait autant en la rebaptisant « main de Marie »…
Autre porte-bonheur à succès, le bracelet rouge, le plus souvent enroulé sept fois autour du poignet, que si le mauvais œil l’aperçoit, il louche directement ailleurs. Ces talismans fonctionnent aussi en Israël où ils sont distribués à chaque élection par le parti ultra-orthodoxe séfarade Shass. Efficacité garantie par les plus hautes autorités du parti. À condition de bien voter, s’entend.
Pourquoi le dibbouk sort par le petit doigt de la main gauche
Photo du film Le Golem, de Paul Wegener et Carl Boese (1920)
À ce stade, certains doivent hausser avec suspicion un sourcilleux sourcil : « Le « vouss-vouss », là, il ne nous ferait pas une crise d’anti-séfaradisme primaire, des fois ? Que pas du tout. Question magie, les Ashkénazes n’ont de leçon à recevoir de personne. Prenez le « Maharal » (« Notre Maître »), rabbi Yéhuda ben Betzalel de Prague, ville qui a priori n’est pas située près de Tunis. Et bien, au XVIème siècle, ce talmudiste et kabbaliste de renom accomplit le dernier (sauf erreur ou oubli) grand miracle en date. Il créa un homme fait d’argile, le « golem » et lui donna vie grâce à une amulette sacrée posée sur son front. Pour le plus grand bien du peuple juif.
Car toute la semaine, le Golem protégeait le ghetto de Prague des méchants. Sauf bien sûr le shabbat qu’il ne fallait pas profaner. Le fait que l’histoire finit mal (un vendredi soir, le rabbin oublia de désactiver le Golem, qui commença à dévaster tout le quartier juif), ne change rien à l’affaire : si ça, ce n’est pas de la magie pure, que vous faut-il ?
Affiche de la pièce Le Dibbouk, 1950
Autre cas de magie ashkénaze : l’exorcisme du « dibbouk », un démon qui prend possession de quelqu’un et le rend méchant, vicieux, haineux voire grossier. Seul, un rabbin des plus sages peut invoquer le Nom de Dieu pour l’obliger à quitter le corps qu’il occupe (en général par le petit doigt de la main gauche sinon le monstre pourrait causer de graves dommages au corps en s’en allant). On voit par là que William Friekdin, le réalisateur – juif – du célèbre film « L’exorciste » (1973), n’a pas dû aller loin pour trouver l’inspiration… Et par qui le dibbouk a-t-il été rendu célèbre en 1917, sinon par l’auteur de la pièce de théâtre éponyme, Shalom Anski, de son vrai nom Shloïmè Rappoport, originaire de Tchachniki en Russie ?
De même pour les rabbins miraculeux : nul n’ignore que le mouvement hassidique vit le jour en Europe de l’Est. Et que chacune de ses sectes et sous-sectes possède son propre Admor « Notre Maître, notre Guide, notre Rabbin »). Lequel possède des pouvoirs surnaturels irrécusables aux yeux de ses disciples, quoique contestés avec virulence par les fidèles d’à-côté. Idem pour les pèlerinages. Avant la Seconde Guerre mondiale, les croyants ashkénazes disposaient d’une douzaine de tombes où se rendre lors des grandes cérémonies juives. De nos jours encore, ils sont jusqu’à 50.000 fidèles à pèleriner chaque Roch Hachana (Nouvel An juif) à Ouman en Ukraine, sur la tombe du très sage et révéré rabbi Nahman de Breslev (1772-1810), arrière petit-fils du Baal Shem Tov, le fondateur du hassidisme.
Bien, mais ashké ou sef, est-ce que tout cela, superstitionner, amuletter, pèlerinager, c’est magiquer ? Disons que c’est limite casher : tous ceux qui ne se consacrent pas à l’étude des livres saints ont besoin de participer, d’une façon ou d’une autre, au sacré. Et la plupart des Sages le tolèrent : après tout, cela ne fait de tort ni aux gens ni à la religion elle-même.
Pourquoi Yaacov Israël Ifergan est surnommé le « rabbin Rayon X »
Israël Berland
Par contre, ce que les autorités rabbiniques ne supportent vraiment pas, ce sont les « illusionnistes » qui utilisent la religion à leurs propres fins. Sauf que, hélas pour elles, ils sont de plus en plus nombreux, tant en Israël qu’ailleurs. Citons, vraiment au hasard , le rabbin Israël Berland (82 ans) dirigeant d’une secte ultra-orthodoxe, arrêté en 2018 par la police israélienne pour escroquerie aggravée : « spécialisé » dans les problèmes médicaux, Berland réclamait de fortes sommes d’argent pour guérir des malades atteints de cancers, d’infirmités permanentes, voire en état de mort cérébrale…
Pour cela, il leur distribuait des pilules magiques qui, à l’analyse, se sont révélées être de simples bonbons… mais, mais, mais, expliquent les fidèles de Berland « bénis par le Maître et donc enrobés d’une couche de sainteté »… Berland a été condamné à 18 mois de prison. Vu son âge, il a été vite libéré et a repris la tête de sa secte.
Yaacov Israël Ifergan dit « Ha Rentgen » (« Rayon X »)
Autre cas : l’ancien employé de la Sécurité sociale israélienne et rabbin (autoproclamé) Yaacov Israël Ifergan dit « Ha Rentgen » (« Rayon X »). Un surnom bien mérité puisque, grâce à son regard « perçant et froid » (dixit un de ses disciples), il décèle en un coup d’œil votre maladie. Et la guérit illico, surtout si vous êtes aveugle ou impotent, ses domaines de prédilection.
D’autre part, Rayon X fait aussi dans la chose militaire : durant les années 2000, par la seule puissance de sa volonté, la petite ville de Netivot où il est né a été beaucoup moins bombardée par les roquettes du Hamas que Sdérot, située à quelques kilomètres. Pour l’armée, ce miracle tenait au fait que le Hamas n’avait pas à l’époque la capacité d’envoyer ses fusées à une telle distance. Une explication à laquelle aucun disciple sérieux d’Ifergan ne saurait bien sûr accorder le moindre crédit. Depuis, Rayons X est aussi devenu le conseiller d’importants hommes d’affaires israéliens qui n’achètent (ou ne vendent) qu’en fonction de son avis. De même, nombre de politiciens et ministres ne prenaient aucune décision sans l’avoir rencontré. En 2014 encore, une foultitude de dirigeants du Likoud, déjà au pouvoir à l’époque, se pressaient au mariage d’un de ses fils. Et au vu de la manière de gouverner du gouvernement actuel, on peut imaginer que ces consultations se poursuivent.
La Kabbale pour les (vraiment) Nuls
Et Ifergan n’est qu’un des innombrables super-rabbins miraculeux que compte la « start-up nation ». Mais si l’on devait décerner une Palme d’or du meilleur « illusionniste », elle devrait revenir à l’américain Philip Berg pour l’ensemble de son œuvre.
Ne serait ce que parce que Berg, de son vrai nom (beaucoup moins vendeur) Shragé Feivel Gruberger, ne s’en prenait pas au petit peuple : tel Robin des Bois, il volait les riches pour aider le pauvre lui-même. Car riche, il ne l’était pas. Ex-ultra-orthodoxe, Berg gagnait mal sa vie comme courtier en assurances, lorsque, à un moment donné, il dut lire la seule phrase sensée qu’ait jamais prononcée L. Ron Hubbard, fondateur de la scientologie : « Si vous voulez faire fortune, créez une religion ».
Shragé Feivel Gruberger
Plus modeste, Berg fonda en 1989 un «Centre de la Kabbale » à Los Angeles. Non pas un lieu dans lequel des érudits, après avoir étudié durant des décennies la Torah et le Talmud, achèveraient de s’user les yeux en déchiffrant les arcanes ésotériques de ladite Kabbale. Il y proposa plutôt une analyse de la « Kabbale pour les (vraiment) Nuls ». Et pas n’importe lesquels. Des Nuls riches et célèbres, blasés de leur abondance de biens matériels : combien de villas, de piscines, de voitures de luxe, d’avions privés, de diamants… peut-on posséder, je vous le demande ? Et la vie intérieure dans tout ça ?
Alors Berg vint : c’est dans l’étude de la Kabbale, expliqua-t-il, que se trouvaient toute les réponses aux questions existentielles des Nuls, les terrifiants « Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? » Mais, lui objecta-t-on, tout le monde sait que la Kabbale, c’est un truc de la mort qui tue à étudier. Certes, si on veut en comprendre la (les) lettres, répliqua Berg. Mais, ce que lui, le Maître, proposait, c’était d’en saisir l’esprit. Pour cela, rien de plus simple.
Il suffisait d’acquérir pour une somme raisonnablement élevée la vingtaine de volumes, rédigés en araméen du « Livre de la Splendeur » (« Zohar ») un des ouvrages fondateur de la Kabbale et de les « scanner » en caressant leurs couvertures. Après quoi, il suffisait de le lire durant les séances d’études (payantes, très payantes) non pour en comprendre les mots, mais pour bien les prononcer. Et bingo, vous étiez un maître de la Kabbale ! Bien entendu, les stars d’Hollywood accoururent en masse…
De Barbra Streisand à Madonna en passant par Britney Spears, Ashton Kutcher, Gwyneth Paltrow, Mick Jagger et autres Demi Moore, toutes et tous purent très vite arborer avec fierté le bracelet rouge des Initiés (Le vrai, hein, chargé d’énergie par le Maître en personne !). Ils eurent aussi le droit, sinon le devoir, d’acheter les nombreux, coûteux mais indispensables livres du Maître sur la réincarnation, l’astrologie… Ainsi que ceux de la femme du Maître. Et ceux des enfants du Maître.
S’étonnera-t-on que celui qui eut le plus de succès ait été « Les vertus amaigrissantes de la Kabbale » ? Les adeptes étaient aussi incités à acquérir de l’eau kabbalistique, laquelle, comme de juste, guérissait tout, des règles douloureuses au cancer du foie. Sans parler des « voyages d’études » en Israël, facturés à un prix digne du train de vie des disciples et quelques autres onéreuses bricoles. C’est ainsi que la petite entreprise de Berg ne connut pas la crise, jusqu’à ce qu’il commette une erreur commerciale majeure.
Il suggéra à ses fidèles qu’en lui versant 10 % de leurs revenus mensuels, ils pourraient devenir des Hyper-Maîtres de la Kabbale. Hélas pour lui, si elles pensaient peu, les stars comptaient bien et subodorèrent donc qu’il y avait là comme une arnaque. Elles désertèrent en masse et poursuivirent seules leur route de brique jaune¹ : Madonna passa au bouddhisme puis à l’islam, avant de devenir serial-adopteuse d’enfants du Malawi. Britney Spears se rasa la boule à zéro avant d’être colloquée par son père, et ainsi de suite. Fort heureusement pour lui, Berg avait accumulé assez d’économies pour conserver ce train de vie fastueux qui lassait tant ses ex-adeptes. C’est dans un hôtel de luxe qu’il mourut en 2013. Il est néanmoins triste de savoir que seules deux (petites) vedettes assistèrent à ses funérailles…
Hâtons-nous de préciser que ce genre d’arnaqueurs n’est pas, et de loin, spécifique au judaïsme. Chaque religion, foi ou croyance, compte en son sein des petits futés comparables. Tout comme chez les athées, les laïques et les agnostiques. Bref, chez tout le monde. Ce qui démontre bien la véracité de cet ancien proverbe populaire qu’on vient d’inventer : « Tant qu’il y aura des poires, il y aura des gens pour les presser ».
Ouri Wesoly
¹Titre d’une chanson du film, tout à fait en situation, « Le Magicien d’Oz » (1939) de Victor Fleming
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Article publié le 25 novembre 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
Bonjour Messieurs Weselly et Jewpop
Nous, avocats de feu M Berg, vous avons assignés devant le tribunal de Phoenix, comté de SesCendres, Arizona, pour diffemmàtion de sa mémoire et de ses oeuvres. Ses héritiés, ayant droits, sont en droit US opposable All in the World de vous demander la modeste somme de 8 millions de Yuan à virer à notre banque de Taïwan